Le Successeur de pierre
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Jean-Michel Truong
par Pascal Barollier


Tout à la fois BD, roman 3D, boule de cristal virtuelle et fresque philosophique
aux références classiques, Le Successeur de pierre
est écrit avec la vision de l’expert et l’espoir du novice.
Ce roman est une gourmandise qui ouvre l’appétit du lecteur, et qui le rassasie...

Le Successeur de pierre, de quoi ça cause ?
Il y a les Noplugs, gueux qui ont refusé l’enfermement et le confort des cocons créés pour permettre à l’espèce humaine de survivre au virus. Il y a l’immense majorité des larves, ces hommes, femmes, enfants, vivant par procuration, isolés dans leur container de métal, de la naissance à la mort, et nourris par la machine. Et il y a les Imbus, la caste supérieure qui a créé les cocons pour s’assurer, à jamais, le contrôle de la planète. Tout va bien dans ce monde-là, jusqu’au jour où une série de meurtres dans les cocons pousse Calvin, le maître des braqueurs de réseau, à fouiller les poubelles du Web pour les élucider.


Un bouquin de SF, ça doit vous changer du travail de consultant, expert de l’Asie, spécialiste de l’intelligence artificielle ?

• Jean-Michel Truong : Je récuse totalement la catégorie science-fiction pour ce livre qui n’est pas non plus de l’anticipation mais de la pure extrapolation !

) Extrapolation, tout de même, comme vous y allez ! Vous décrivez un monde où, pour échapper à un virus mortel, les quatre cinquièmes de la population vivent enfermés dans d’immenses montagnes de containers, chaque individu isolé dans son cube d’acier que vous baptisez cocon, nourri par des machines et connecté aux autres par le truchement d’un Web mille fois plus puissant que le nôtre. Simple extrapolation ?

• Contrairement à ce que notre orgueil de baby-boomer nous fait penser, la plupart des objets technologiques que nous manipulons aujourd’hui ont été conçus dans les années 40 et 50. Une technologie met toujours une trentaine d’année à passer de ses premiers pas en laboratoire à la grande consommation. Les inventeurs des objets technologiques d’aujourd’hui sont des papis et mamies auxquels nous refusons une place dans le métro, et non pas des adolescents de la Silicon Valley, comme on tend à le croire…

) Votre roman se déroule en 2032, nous serons donc les papis de ce futur-là ?
• Oui, et si je veux connaître les objets qui formeront notre quotidien en 2032, je n’ai qu’à regarder ce qui se passe dans les labos d’aujourd’hui. C’est pour cette raison que je place l’horizon de mes livres à trente ans.

) Et pour extrapoler, le romancier reprend sa casquette de consultant ?
• Je n’ai pas d’imagination, je n’invente rien. J’ai une méthode d’extrapolation qui s’appuie sur un constat : la technologie a une dynamique propre qui évolue dans un champ de contraintes. J’ai défini quatre grands types de contraintes. La première est l’ambition des chercheurs, qui fera évoluer une technologie dans une direction ou une autre en fonction du bénéfice qu’ils pensent en tirer.

) C’est donc la contrainte de la gloire. Quelle est la deuxième ?
• La recherche du profit, qui encourage le développement de certaines technologies au détriment d’autres, qui ne sont pas moins efficaces mais ne représentent pas la même source de profit. Un exemple : le choix du nucléaire contre celui des énergies renouvelables.

) Deuxième contrainte : l’argent. Et la troisième ?
• La volonté de puissance des grandes entreprises industrielles et des États.

) Gloire, argent, pouvoir. Et la dernière ?
• C’est l’éthique. Ma méthode d’extrapolation consiste ensuite à observer comment se comporte l’évolution d’une technologie dans chacune de ces contraintes. Alors, je supprime la contrainte la plus faible : c’est toujours l’éthique qui saute… Et je poursuis l’étude du comportement de l’objet soumis aux trois autres contraintes…

) Donc vous extrapolez de façon presque mathématique !

• Oui, sans imagination, mais avec du calcul. Je fais de l’extrapolation contrôlée. Car je vérifie toujours que les extrapolations résultant de mon calcul ont un début de réalité dans le présent, qu’elles ont déjà un début d’exécution…

) Et votre postulat de base dans cette histoire est une épidémie mondiale qui frappe la planète. Vous êtes donc convaincu que nous en sommes menacés ?
• Nul besoin de dresser la liste des virus mortels qui se développent depuis plusieurs années, jusqu’à la tuberculose qui redevient une menace. Il y a, dans ce domaine, une montée des risques avec des moyens de lutte qui atteignent leurs limites.

) Voilà donc pourquoi la population mondiale a adopté le mode de vie Zéro Contact en 2032, chacun dans son cocon.

• Oui, c’est la raison. Mais je crois que les hommes n’ont même pas besoin de cette raison, certains sont capables de s’enfermer volontairement car ils le souhaitent. Déjà aujourd’hui, un certain nombre d’individus pratique la religion du zéro contact. Par exemple les Otakus au Japon, des jeunes qui sont adeptes de la claustration volontaire, sans contact autre que virtuel avec l’extérieur. Il y a aussi cette expérience sur un campus américain où des étudiants vivent 24 heures sur 24 dans une cité universitaire coupée du monde. Et le plus étonnant est la taille de la liste d’attente pour y obtenir une chambre… Il y a aussi tout en bas de l’échelle, les “cage-people" de Hong Kong. C’est le degré zéro de la technologie, mais ça existe. Et on pense distribuer des containers en carton aux sans-abri de New York, ça y ressemble aussi !

) L’ombre d’une Créature supérieure plane sur tout votre roman. Vous êtes croyant ?
• Si je crois en une cause première, oui ! Mais si je crois à un dieu personnel, avec lequel on entretient une relation amicale ou hostile, ça non. Dans le livre, la Créature supérieure a bien elle-même un Créateur, mais qui n’a rien à voir avec nos représentations habituelles.

) Comment la faites-vous apparaître dans votre récit ?
• C’est Calvin, un hacker, un prince, un seigneur des pirates du Web qui comprend l’existence de cette Créature, qui découvre qu’elle le manipule comme tous les autres hommes, afin d'obtenir de l’humanité les moyens de
sa survie.

) L’espèce humaine est donc là pour servir cette Créature supérieure ?
• Elle n’est que le véhicule de cette Créature, son gîte d’étape jusqu’à un autre gîte plus apte à la survie de cette Créature. Car elle a compris que le corps humain est trop périssable, trop fragile, et elle cherche son prochain véhicule plus durable.

) Calvin, votre personnage central, prendre néanmoins le dessus.
• Pas vraiment. Il découvre qu’il a les moyens de tuer cette Créature. Mais il sait aussi que s’il la tue, l’homme aura vécu pour rien. Il sait, lui aussi, que l’intelligence artificielle est la prochaine étape de l’humanité, car l’homme n’a pas la promesse de l’éternité. Mais la Créature, elle, peut survivre, grâce à l’intelligence artificielle, logée dans un corps minéral, le silicium, qui deviendrait à son tour porteur de la conscience. Il y a d’ailleurs une cohérence forte entre le développement que connaissent aujourd’hui l’intelligence artificielle et le néolibéralisme, l’ensemble servant le grand dessein de la Créature…

) Sous son couvert high-tech, votre roman traite donc de l’origine de l’homme et de son devenir ?

• Il met en scène le rôle historique de l’homme consistant à préparer son propre successeur qui recueillera la conscience. D’où le titre…

) Au règne de l’homme succéderait donc celui de la pierre. Et vous y croyez, vous, à cette Créature ?
• Je n’ai pas d’autre choix que d’y croire. Dans quelques milliers d’années, l’homme ne sera plus sur la scène. J’espère donc que ce que l’homme a fait de mieux, c’est-à-dire la conscience, sera encore là !

) Optimiste donc ?
• C’est un pari, un espoir.

Pascal Barollier

© Transfert.net

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