Roman
historique ? philosophique ? religieux ? Anticipation
? Utopie? Dystopie? Cyberpunk? De tout cela un peu; mais
que Le successeur de pierre appartienne à
la science-fiction, personne n'en doutera, hormis... Jean-Michel
Truong lui-même, tout étonné de recevoir,
pour son livre, le Grand Prix de l'Imaginaire, lors d'Utopia
99! (voyez son interview, dans ce numéro). Cet
ouvrage, étrange et inclassable en fait, laisse
une très forte impression, par l'érudition
de l'auteur d'abord, puis surtout par le souffle grandiose
de sa vision. Tout commence en 628 par la disparition,
au coeur de l'Asie centrale, d'une mystérieuse
Bulle de Saint-Pierre, laquelle contiendrait un secret
terrible pour l'humanité et dont seuls les papes
ont connaissance. Brusquement, l'on passe en 2032, en
Californie. Après une peste qui décima le
tiers de la planète, les hommes vivent le Grand
Enfermement. Tapis dans d'immenses pyramides, ils ne communiquent
entre eux que par le web. Nous ferons la connaissance
graduelle des personnages-clés du roman, par le
biais de leurs longs entretiens. Décor, intrigue,
passé et présent, identité réelle,
tout se dévoile petit à petit, comme
une toile se défaisant très lentement.
En cela aussi, Le successeur de pierre participe pleinement
de la SF, "littérature du non-dit". Tel un fil
rouge, la recherche de la Bulle disparue interrompra régulièrement
le cours du récit, pour aboutir, bien sûr
au Vatican, où trône un pape français,
en jeans et baskets. Jean-Michel Truong se livre à
une réflexion profonde sur un monde dominé
par la communication : le nôtre en somme, à
peine transposé, ou plutôt le nôtre
tel qu'il sera. Et là, il prend le contre-pied
de l'idée reçue : si la vie, c'est lier,
le web, c'est le contraire de la vie (p. 210)! Et la "Créature",
dont il est constamment question, c'est celle qui, précisément,
s'est emparée du web pour établir, sournoisement,
pernicieusement, sa domination sur les hommes à
qui, bientôt, elle succédera... Voila la
thèse centrale de l'auteur, thèse énorme,
stupéfiante, mais parfaitement soutenue et d'une
étonnante pertinence. Et ici, il s'agit d'insister
sur le brio de l'écrivain car la forme est aussi
riche que le fond. Ses idées sont instillées
au moyen d'un style dense et rapide, très imagé,
d'une grande richesse de vocabulaire. Chaque répartie
est précise, juste et lucide, et laisse le lecteur
abasourdi par tant d'intelligence. Les réflexions
sur l'Audimat, la beauté des tableaux de Millet,
l'apparition des agents logiciels, l'oppression du Libre-Echange,
le vieux Shanghai, et les Jésuites, pour ne prendre
que quelques exemples glanés, frapperont par leur
concision autant que par leur exactitude. Toutes ces images
forment comme les mille facettes d'un immense vitrail
que l'on ne découvre, entier et formidable, qu'à
l'ultime page.
Oui,
Le Successeur de pierre est un chef-d'oeuvre :
les jurés du Grand Prix de l'Imaginaire ne se sont
pas trompés.
Bruno
Peeters
©
Phénix 2000
retour
à la page Critiques Médias
|
|