Peu
à peu, l'homme devient un animal de cocon. Il
reste au chaud, chez lui, n'a pas envie d'être
dérangé par ses congénères.
Il a encore moins envie de les voir de près dans
les yeux, de leur serrer la main et de sentir leur odeur,
voire de supporter leur haleine. La technologie moderne
nous permet enfin de nous protéger les uns des
autres. Grâce à la télévision,
on voyage à domicile. Grâce aux livreurs
de pizzas, on est nourri à domicile. Grâce
à SOS Médecins, on est soigné à
domicile. Grâce à la poste, on peut être
livré de n'importe quel objet manufacturé.
Grâce au téléphone, on peut discuter
avec des gens éloignés et, grâce
à Internet, on peut travailler à domicile.
Internet nous fait même découvrir de nouveaux
plaisirs : jouer à cinquante dans un univers
virtuel, parler à des foules entières
à participer à des assemblées de
discussion. Effet bizarre : plus l'homme reste chez
lui, plus il rencontre de gens, plus il parle à
des étrangers, plus il devient curieux et assoiffé
d'intormations. Comment tout cela pourrait-il évoluer
?
Dans son roman "le
Successeur de pierre" (éd. Denoël),
Jean-Michel Truong imagine que les gens restent définitivement
enfermés chez eux et qu'on ne communique plus
que par le Web. Ce mode de société nommé
Zéro contact est issu du besoin de cocooning
de l'homme moderne, et aussi de la peur de la pollution,
des radiations, des virus, du froid, de la saleté.
Avec une société Zéro contact,
il n'y a plus de risque de contamination. Les cocons
sont en fait des conteneurs d'acier de quelques mètres
cubes, sortes de petits studios équipés
d'un lit, d'un bureau et surtout d'un grand écran
de télévision. On dépose les enfants
sevrés à l'intérieur et on scelle
la porte car le cocon servira aussi de cercueil. La
nourriture, commandée sur Internet, arrive par
des tuyaux. Les objets qu'on achète sont de même
livrés par un système de tuyauteries.
Dans un univers, les conteneurs sont empilés
par millions pour former des pyramides hautes de plusieurs
centaines de mètres de hauteur. Si bien que les
quelques audacieux qui arrivent à faire sauter
leur porte scellée chutent au bas des pyramides.
Comment dès lors
les gens font-ils pour faire l'amour ? Par Polochon
interposé. Le Polochon est un robot modifiant
sa forme en fonction des données intormatiques
reçue. Si bien que, pour s'accoupler, chaque
partenaire envoie les codes de description de son corps
dans les moindres détails à l'autre. Et
chacun peut faire l'amour avec un robot représentant
exactement son conjoint ! Jean-Michel Truong nous montre
un meilleur des mondes, peut-être plus proche
qu'on ne le croit. La capacité des hommes à
se créer des prisons pour mieux se protéger
fait partie de ses paradoxes.
©
Eurêka, novembre 1999, n°49, p. 65