Totalement
inhumaine : lecture
par
Patricia Mevel
Avec
" Totalement inhumaine ", Jean-Michel
Truong quitte les champs hypothétiques de la
fiction pour celui assuré, selon lui, de ce que
sera lavenir peu réjouissant de notre monde
Il
y a quelques mois, je découvrais avec bonheur
ce roman magistral quest " Le Successeur
de pierre ", uvre originale et ô
combien intelligente que je me suis empressée
de recommander au plus grand nombre, amateur ou non
de science-fiction. Et voilà maintenant que la
quatrième de couverture de " Totalement
Inhumaine " annonce que ce présent essai
prolonge logiquement et même approfondit la réflexion
amorcée dans le roman. Est-il encore utile dajouter
que jattendais den découvrir la teneur
avec grande impatience ?.. Je lai donc
lu, relu et relu à nouveau, pour finalement me
retrouver bien interloquée.
A première
lecture, cet essai est effectivement déconcertant
mais déconcerter est peut-être le
but de lauteur dabord, parce quil
est bien difficile à un lecteur moyen den
atteindre la compréhension intégrale,
étant donné le caractère abscons
de moult termes ou développements accessibles,
semble-t-il, aux seuls spécialistes.
Quand cependant
on a saisi ou cru saisir la ligne générale
de ce texte misanthropique et désespéré
annonçant un futur pour le moins effrayant dans
lequel la conscience et lintelligence qui survivront
à lhumanité elle-même
vouée à une disparition inexorable
ne peuvent être quartificielles, on est
tenté de refuser catégoriquement. Ce à
quoi soppose, bien sûr, lhonnêteté
intellectuelle. Jappartiens au genre humain, donc
je ne peux pas ne pas me tromper quelquefois, ou peut-être
souvent. Et si cétait le cas, en face de
cette démonstration ?.. Mais on constate
immédiatement que lauteur, lui, ne partage
pas cette certitude de forcément tomber parfois
dans lerreur. Il affirme, sans hésitation.
Ce qui est gênant.
Puis on se demande
quelle raison la poussé à publier
cette prophétie digne de Cassandre. A quoi bon
annoncer aux hommes quun jour ils seront supplantés
par l'intelligence artificielle quils ont eux-mêmes
créée ?.. On comprendrait mieux un
avertissement angoissé : voilà ce
qui va arriver si vous continuez à
Mais
il ny a nulle note dangoisse dans ce livre.
Ce qui gêne également.
Et qui conduit
à se demander, après réflexion :
" Pourquoi être angoissé ? ".
La menace nest pas pour demain. Elle ne me concerne
pas, moi, ni tous ceux que je connais et qui me sont
chers. Existerait, chez lindividu, un besoin tenace
de croire à la survie de son espèce ?..
Ou ne suis-je quun cas particulier, ce dont je
doute fort ? Il y a là une force indiscutable
dont lauteur ne semble pas tenir compte. Limpact
quont eu des slogans comme " les lendemains
qui chantent " ou, à la fin de la Première
Guerre Mondiale, " la der des der " indique
que lhomme peut très bien trouver dans
lévocation dun avenir heureux que
certainement il ne connaîtra pas lui-même
des raisons de vivre, de se battre et même de
mourir. Ces slogans sont mensongers ?.. Peut-être,
mais moins démoralisants que les prophéties
de Cassandre.
Trompeurs
et employés pour tromper, bien sûr. Etre
homme, cest forcément se tromper parfois,
je le répète. Les penseurs du début
du dix-neuvième siècle simaginaient
que le " Progrès ", avec une majuscule,
assurerait à lhumanité un avenir
rayonnant. Victor Hugo fait dire à un personnage
des " Misérables " :
" Le vingtième siècle sera heureux ".
Erreur, bien sûr, nous sommes bien placés
pour le savoir. Erreur aussi, les prédictions
des grandes intelligences, au milieu du dix-neuvième,
quant aux catastrophes que devait apporter le chemin
de fer. Je suis certaine de bien peu de choses, mais
dune au moins : limpossibilité,
pour un être humain, voire un groupe dêtres
humains, si savants et intelligents quils soient,
de prévoir lavenir de lhomme. Autant
prétendre déterminer, au moment où
une feuille morte se détache de sa branche, à
quel point précis du sol elle se posera. Trop
de facteurs entrent en jeu, dont certains sont nécessairement
inconnus, justement parce quils se situent dans
le futur. Une infime saute de vent, par exemple. Les
historiens ont bien du mal à analyser les facteurs
multiples qui ont déclenché la Révolution
de 1789. Qui aurait pu la prévoir dix ou quinze
ans auparavant, avec toutes ses conséquences ?..
Il est vrai que lauteur ne semble pas tenir les
historiens en haute estime.
Pas plus que
lhomme en général, du reste, ni
son intelligence. Son jugement, sur ce point, me paraît
très réducteur. Ce qui nous amène
à cette réflexion que, lorsquil
utilise son intelligence pour déprécier
lintelligence humaine, sa raison pour dénigrer
la valeur de la raison de lhomme, cest un
peu le serpent qui se mord la queue. Comment, dans ces
conditions, adhérer à ses conclusions
Ou bien l'homme est incapable dune réflexion
solide, auquel cas toutes les citations qui forment
le corps même du raisonnement dans cet essai nont
aucune valeur, ni bien entendu le raisonnement lui-même,
ou bien il est parmi nos contemporains, classés
de façon quelque peu schématique et arbitraire,
des hommes lucides, capables de concevoir les dangers
qui menacent lhumanité et donc, en cela
aidés par lintelligence artificielle mise
aujourdhui à leur disposition, de travailler
efficacement à son salut.
Ce ne sont là,
jy insiste, que les cogitations dune lectrice
moyenne, qui ne prétend pas avoir tout compris,
qui est consciente du danger où elle est de se
tromper peu ou prou, qui tente seulement de penser aussi
honnêtement et librement que possible.
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