Libé
: L'implantation de puces sous la peau n'est pas une
pratique nouvelle. Mais avec Verichip, les artistes
défricheurs cèdent le pas aux marchands
de l'identification. Doit-on craindre une généralisation
du gadget ?
Jean-Michel
Truong : Le Verichip constitue un progrès majeur
pour la traçabilité du cheptel humain.
On voit assez clairement comment son usage se répandra.
D'abord, en invoquant le prétexte humanitaire
: la puce, nous dira-t-on, permet aux médecins
d'intervenir plus vite en cas de problème.
C'est ainsi que commencent toutes les dérives
technologiques : voyez le clonage humain. Puis
se construiront autour d'elle des systèmes
toujours plus nombreux, qui justifieront qu'on empucelle
des couches toujours plus larges de la population.
Un jour viendra où l'on ne pourra plus vivre
sans elle comme c'est déjà
le cas sur Internet sans carte bancaire. Ce jour-là,
on envisagera sérieusement de l'implanter systématiquement
à la naissance. Son port deviendra obligatoire.
N'être point puceau sera suspect et se
dépuceler, criminel.
D'où
vient cette exigence technoïde de traçabilité
?
Elle
correspond au besoin antique d'assurer l'intégrité
des transactions génétiques et commerciales
par l'identification rapide des géniteurs sains
et des débiteurs fiables, ou de leurs contraires,
les individus à risque. La société
y pourvoyait par toutes sortes de marquages, à
même la peau (tatouages
), sur les vêtements
(décorations, étoiles jaunes
)
ou au moyen d'accessoires (cartes d'identité,
bracelets électroniques, etc.). De nos jours,
ce besoin est exacerbé par l'émergence
de pressions sociales nouvelles: D'abord, l'idéologie
du « zéro défaut » née
dans l'industrie s'est étendue à toute
la société qui cherche à écarter
les individus défectueux. L'aspiration au «
risque zéro » joue dans le même
sens, ainsi que le communautarisme avec son idéal
de « zéro écart à la norme
», qui crée un besoin de méthodes
fiables d'appariement du pareil au même. Enfin,
la perte de confiance résultant de la multiplication
des identités virtuelles sur les réseaux
plaide en faveur de moyens d'identification sûrs.
Le Verichip est une réponse à ces pressions
nouvelles.
A
quelle cadence se fera l'empucelage de la société
?
Cela
dépendra de l'évolution de ces pressions,
et de l'intensité des résistances et
des modes qui se feront jour. Selon qu'être
empucelé sera ou non vécu comme glamour,
branché ou sexy, ça pourra prendre de
quelques années à plusieurs décennies.
A cet égard, les médias et les cons
joueront un rôle déterminant : aux USA
on observe déjà un début de « mania »
et le fabricant fait état de 2000 gamins candidats.
Se
savoir "taggé" provoque un sentiment
très désagréable, un peu comme
si un oeil veillait sur soi à tout moment.
Verichip et les gadgets électroniques faits
pour nous traquer ne représentent-ils pas l'avènement
de Big Brother ?
Il
y a là un saut quantique dont on ne mesure
pas encore la portée. Avec son Verichip incarné
au plus intime de lui-même, l'homme n'est plus
seulement porteur d'une carte de crédit,
il est carte de crédit. Plus besoin
de passer à la caisse : il s'accrédite
lui-même, il paie de sa personne. C'est l'idéal
de la confiance enfin réalisé. Jusqu'ici,
chacun de nous avait besoin qu'un tiers - sous les
espèces d'un morceau de plastique délivré
par une banque - se porte garant de sa solvabilité.
Avec le Verichip, je n'ai plus besoin qu'un autre
réponde de moi : le petit transpondeur tapi
en mon sein répond pour moi et répond
de moi. Mais en même temps, exactement comme
jadis j'étais dénoncé par ma
CB en payant au péage, je deviens mon propre
délateur. Désormais, Big Brother saura
à chaque instant où je me trouve, et
avec qui. L'oeil de Big Brother pèsera sur
moi, certes, mais comme un oeil interne, tel celui
qui jusque dans la tombe ne cesse de fixer Caïn.
Le Verichip sera devenu le siège électronique
de la conscience.
Les
applications délirantes dont parle Warwick
sont-elles envisageables ? On se situe dans le prospectif
ou dans l'imaginaire ?
Techniquement
parlant, ces applications sont tout ce qu'il y a de
plus faisable. La technologie à la base du
Verichip est même déjà obsolète.
Les nanotechnologies permettront de franchir un pas
supplémentaire dans cette direction.
Mais le futur de ce type d'applications réside
dans les biotechnologies. Après tout, nos cellules
sont emplies d'une substance particulièrement
apte à mémoriser et traiter des informations,
l'ADN. La majeure partie de cette mémoire demeure
inexploitée - l'ADN mitochondrial, notamment.
Reste à développer un lecteur-graveur
capable d'y inscrire des informations et de les retrouver.
Une version CD réinscriptible de l'ADN. On
disposerait ainsi d'un équivalent non intrusif
du Verichip qui, contrairement à celui-ci,
pourrait être implanté «à
l'insu de notre plein gré».
©
Libération, 11-12 mai 2002, cahier Technologie,
p. 36
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