On
peut être spécialiste de transfert technologique
et excellent romancier. La preuve en est faite par Jean-Michel
Truong, ancien PDG de Cognitech, qui vient de publier
un roman, "Reproduction Interdite",
aux éditions Orban. L'ouvrage est (à peine)
une fiction sur l'évolution de l'industrie du
"fleshware" dans les 50 prochaines années.
Le "fleshware" ? Ce mot barbare (pour lequel
nous proposons une traduction : géniciel) renvoie
à l'ingénierie de la personne (manipulations
génétiques, banque d'organes pour les
greffes ... ) dont la pratique, le droit et l'acclimatation
des mentalités se préparent aujourd'hui.
Lorsqu'on sait, en 1989, "fabriquer" des clones
de moutons, lorsque le droit américain tranche
sur la propriété commerciale par l'individu
des cellules de son corps, la possibilité de
" produire " des doubles génétiques
humains n'est pas un problème technique. Profondément
enraciné dans le présent, le scénario
proposé par Jean-Michel Truong est très
plausible en prolongeant les tendances actuelles. Le
mécanisme des transferts de technologie fonctionne
comme une machine infernale, dont la forme même
de "Reproduction interdite" (un ensemble de
documents écrits par des machines) illustre la
puissance aveugle. Bien connu des lecteurs du "Monde
Informatique", l'auteur sait de quoi il parle.
Il a lui-même conduit plusieurs transferts de
technologie. En 1984, il crée Cognitech, la première
société française spécialisée
en intelligence artificielle (CA de 25 MF en 87).
En
décembre 86, il quitte Cognitech et se retire
dans les Pyrénées pour écrire "Reproduction
interdite" : un gros travail de réflexion
et d'enquête, en même temps qu'un roman
passionnant, noir, très noir. Où l'on
notera aussi quelques projections intéressantes
sur les évolutions de l'IA, alliée objective
des biotechnologies, elle sait aussi s'en faire l'ennemie.
J.M. Truong exploite ces contradictions, et fait la
preuve qu'il est possible d'introduire à la fois
humour et qualité littéraire sur des sujets
aussi difficiles. A reproduire absolument.
Jean-Pierre CAHIER
© Le Monde Informatique, 20 mars 1989