L'homme
est l'avenir de l'homme, selon Francis Ponge. Mais
cet avenir risque d'être bien triste - inhumain,
même - si l'on n'y prend garde. Méfions-nous
du culte positiviste de la science, de l'application
à tous crins de ses possibilités avant
d'en avoir mesuré l'exacte conséquence
sur le devenir de l'espèce humaine. C'est cet
avertissement que lance le livre de Jean-Michel Truong,
psychologue et philosophe de formation, passionné
de biologie et fondateur d'une importante société
spécialisée en intelligence artificielle.
On songe immanquablement à Aldous Huxley et au
" Meilleur des mondes ". A cette différence
près que, en 1932, aucune des techniques de fabrication
in vitro des petits d'hommes n'existait. A l'heure actuelle,
les progrès de la biologie moléculaire
permettent de féconder des ovules en laboratoire,
de manipuler le cur des cellules, là où
se cache l'ADN, de produire des répliques parfaites
d'un mammifère - des clones - à partir
de son seul patrimoine génétique. Pour
passer à l'homme, il n'y a qu'un pas. Que Truong
franchit.
Les hommes de l'an 2037
acceptent les clones humanoïdes. Dans ce futur
proche, les médecins, les chirurgiens manquent
de sang pour les transfusions, de membres neufs à
greffer sur les habitants de la planète. D'où
l'idée d'élever comme du bétail
des " doubles " dont le patrimoine génétique
ou le cerveau aura été modifié
pour qu'ils ne se révoltent pas. Des doubles
que l'on ampute, mutile à loisir - mais en douceur
- pour servir l'humanité. Que sont vraiment ces
clones ? De simples objets ? Des animaux ? Ou méritent-ils
le titre d'hommes? Pourquoi leur " inventeur "
meurt-il mystérieusement ? Le livre est bâti
comme un véritable roman policier. Mais, tout
au long de l'intrigue, des questions fondamentales d'éthique
sont posées. Il ne faudrait presque rien, aujourd'hui,
pour que l'humanité, sans s'en rendre compte,
dérive vers cette société à
faire froid dans le dos. Une mise en garde à
méditer.
Françoise Harrois-Monin
© L'Express, 3 Mars 1989