Bien
connu des informaticiens, le " clonage " a
pourtant sa source chez les biologistes et les généticiens
qui, bien avant les fabricants asiatiques de copies
d'ordinateurs, maîtrisaient parfaitement les manipulations
des cellules des végétaux et des animaux
dits inférieurs. Si, par une conjonction peu
probable de hasards mettant en pratique les fruits des
recherches de généticiens géniaux
mais sans scrupule, cette science se généralisait
et se banalisait, le monde qui serait le nôtre
apparaîtrait passablement inquiétant.
Se déroulant
- par pure convention ? - en 2037, la fiction de Jean-Michel
Truong nous plonge dans cet univers où l'on considère
comme un progrès extraordinaire la possibilité
de cloner les embryons humains afin de disposer, tout
au long de sa vie, d'une " assurance transplantation
" en cas de maladie ou d'accident.
Sous forme d'un épais
dossier constitué par les éléments
d'enquête rassemblés par un mystérieux
service de renseignements (écoutes téléphoniques,
consultations de banques de données, articles
de presse, interception de courrier, etc.), ce roman
a pour personnages principaux le commissaire de police
Simonot et le juge d'instruction Norbert Rettinger.
Intègre et obstiné, ce dernier tente de
démêler les fils d'une passionnante intrigue
qui mène le lecteur à travers des milieux
peu recommandables en dépit de leur apparente
respectabilité. Quels sont, en effet, les points
communs entre une bande de proxénètes
qui meurent dans l'incendie de leur prison, un professeur
prix Nobel et biologiste de génie mystérieusement
" suicidé " et son héritière,
P-DG honorable de Reproductique SA, leader mondial de
sa spécialité, à savoir la reproduction
et l'élevage de clones humains ? Du clone militaire,
chair à canon bon marché au clone mineur,
sélectionné par croisements successifs
pour ses qualités de rusticité en passant
par le clone de transplantation à l'usage des
rejetons aux parents prévoyants et fortunés,
la visite du centre de production pilote de cette société
et de ses unités de stabulation spécialisées
s'apparente à une véritable descente aux
enfers.
Le
meilleur des mondes revisité
Le meilleur des mondes
revisité par Jean-Michel Truong fait aussi la
part belle à Big Brother que l'on retrouve sous
la forme d'Agatha, l'ordinateur à tout faire
du ministère de la Justice, qui met à
profit les possibilités apportées par
l'intelligence artificielle au service de la recherche
documentaire ou de l'enquête policière
interfacée en langage naturel.
L'auteur de " Reproduction
interdite " est ici en terrain de connaissance
puisqu'il fut à l'origine de la création
de la société Cognitech, spécialisée
dans les applications de l'intelligence artificielle.
Ce roman - dont les droits d'adaptation à l'écran
ont été acquis par Jean-Jacques Beineix
- s'est vu récemment décerner le prix
Mannesmann-Tally 1989 qui récompense chaque année
le meilleur ouvrage d'imagination lié à
l'informatique. Après Thierry Breton pour "
Netwar " qui avait pour thème la guerre
des réseaux télématiques et d'information,
Jean-Michel Truong nous pousse à la réflexion
sur une science qui se surprend parfois à jouer
les apprentis sorciers.
Régis MARTI
© Les Échos, 17 avril 1989