-
Comment vous est venue l'idée d'écrire
un roman sur les clones ?
- De manière totalement fortuite. Au cours d'une
conversation avec des amis, nous avons " déliré"
sur les dérives possibles des manipulations génétiques.
Ce thème constitue le dernier grand risque de
notre civilisation. J'ai voulu suggérer un scénario
crédible. Néanmoins, je ne serai plus
là quand les effets les plus désastreux
se manifesteront, puisque je situe l'action en 2037.
- Votre vision, somme toute assez pessimiste, est-elle
partagée par les scientifiques ?
- J'attendais beaucoup de réactions de la communauté
scientifique. J'en ai eu fort peu. En général,
les généticiens abondent dans mon sens.
En revanche, beaucoup de réactions de jeunes
à la fois intéressés par le sujet,
mais aussi angoissés devant les perspectives
offertes par les manipulations. L'un d'eux qui voulait
devenir biologiste a d'ailleurs renoncé à
se diriger dans cette voie, après lecture du
bouquin. Lourde responsabilité.
- Vous y croyez vraiment aux clones ?
- Nous y sommes déjà. Quand j'ai commencé
à écrire fin 87, j'ai appris que venait
d'être réalisé le premier clonage
d'un veau. Un an plus tard, "Granada Genetics"
fait des affaires avec cette technique et fabrique des
veaux sur mesure. je pense que je suis en retard et
que nous aurons des clones humains avant la fin du millénaire.
Même s'il existe une auto-interdiction aujourd'hui,
une telle dérive est possible. Il suffit de passer
de l'interdit à l'acte: quand les barrières
morales, juridiques, religieuses, éthiques ou
institutionnelles sauteront, nous y serons. "
- Mais pour l'instant, nous avons les robots et l'intelligence
artificielle.
- Il n'y aura pas de basculement subit. Les deux mondes
vont coexister, puis à cause d'une logique économique,
on se dirigera vers les clones plutôt que vers
les robots. La robotique et l'intelligence artificielle
coûtent très cher, tant en recherche-développement
qu'en exploitation. Il est clair que si un jour on propose
une main-d'oeuvre d'esclaves avec des justifications
morales, alors on l'utilisera. L'ère des clones
commencera. "
- Ce n'est pas nouveau...
- Non, on l'a compris dès l'Antiquité
et les nazis utilisaient aussi leurs prisonniers pour
l'industrie allemande dans les camps de concentration.
Imaginez un instant ce que coûte un robot qui
enlève un bout de ferraille qui obstrue un conduit
de centrale nucléaire. Une fortune. Si pour 500.000
F, on peut avoir un clone qui fasse le même travail,
peu hésiteront. En outre, il pourra être
récupéré et avoir d'autres utilisations.
Dans le domaine médical par exemple, ses organes
pourront servir à des transplantations. Sans
compter les applications militaires.
- Sérieusement ?
- Un marché existe déjà. En Turquie,
aux Pays-Bas, des reins sont achetés pour 200
à 300.000 F. Le clone sera présenté
comme une manière d'améliorer le fonctionnement
du marché.
- Après tout, ce n'est qu'une espèce non
déterminée ?
- Non, c'est un homme, si l'on considère comme
être humain toute créature qui présente
tout ou partie du patrimoine génétique
humain. Cependant, ce n'est pas clair pour tout le monde,
même pour l'Eglise.
- Votre vision est très pessimiste ?
- C'est la fin de l'humanité. C'est le rêve
réalisé des nazis et de H. G. Welles,
avec des classes différentes: des sur et des
sous-hommes. A partir du moment où le clonage
de l'homme sera réalisé, on va le spécialiser.
On pourra fabriquer à la chaîne des clones
mineurs de petite taille qui résisteront à
la chaleur; d'autres auront des qualités diverses,
liées à la tâche qu'ils devront
accomplir. A un degré moindre, les cabinets de
recrutement agissent déjà ainsi en définissant
un profil type pour un poste donné.
Recueilli par Patrick PEROTTO
© LEst Républicain, 9 janvier 1990
Portrait
Âgé de 39
ans, il a fait des études de psychologie et de
philosophie à Strasbourg. Plus proche de Platon
que d'Aristote, il apprécie aussi Descartes,
"dont tout l'itinéraire consiste à
chercher la lumière".
Après avoir enseigné
la psycho en faculté, il intègre un groupe
pluridisciplinaire d'études et de recherche sur
la science. Il s'y occupe notamment de contrats sur
la sécurité dans les laboratoires de recherche
de l'Etat: "A cette époque, je me suis rendu
compte que des chercheurs américains venaient
en France, parce que notre législation est plus
permissive que chez eux. Ce qui est interdit là-bas
ne l'est pas nécessairement chez nous".
Dans le même temps, il publie un livre "Systèmes
experts", traduit aux Etats-Unis et best-seller
de l'édition scientifique.
Puis, J. -M. Truong intègre
le privé dans un groupe qui s'occupe de transfert
de technologie, avant de créer, en février
84,Cognitech, avec M. Bonnet, professeur à l'ENS
Telecoms et Jean-Paul Haton, professeur au CRIN à
Nancy, l'un des meilleurs spécialistes mondiaux
de l'intelligence artificielle. Cognitech est la première
société française spécialisée
en ce domaine. Aujourd'hui, l'auteur travaille comme
consultant entre autres pour Usinor-Sacilor, après
deux années sabbatiques consacrées à
l'écriture.
Roman, tel est l'intitulé
de "Reproduction interdite". En fait,
cette histoire racontée à travers les
pièces d'un dossier, à l'instar de "Dossier
51" de Gilles Perrault, est bien davantage: "La
vision de l'holocauste peut se lire à travers
le compte-rendu des aiguilleurs des chemins de fer allemands",
dit l'auteur pour expliquer son découpage.
En ce moment, il prépare
un second roman : "l'action se situera dans le
sud de la France et se déroulera dans un milieu
de haute technologie, un laboratoire de la Marine nationale.