Reproduction interdite
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"Reproduction interdite" :
les clones dans l’Est

par Patrick PEROTTO


- Comment vous est venue l'idée d'écrire un roman sur les clones ?

- De manière totalement fortuite. Au cours d'une conversation avec des amis, nous avons " déliré" sur les dérives possibles des manipulations génétiques. Ce thème constitue le dernier grand risque de notre civilisation. J'ai voulu suggérer un scénario crédible. Néanmoins, je ne serai plus là quand les effets les plus désastreux se manifesteront, puisque je situe l'action en 2037.

- Votre vision, somme toute assez pessimiste, est-elle partagée par les scientifiques ?

- J'attendais beaucoup de réactions de la communauté scientifique. J'en ai eu fort peu. En général, les généticiens abondent dans mon sens. En revanche, beaucoup de réactions de jeunes à la fois intéressés par le sujet, mais aussi angoissés devant les perspectives offertes par les manipulations. L'un d'eux qui voulait devenir biologiste a d'ailleurs renoncé à se diriger dans cette voie, après lecture du bouquin. Lourde responsabilité.

- Vous y croyez vraiment aux clones ?

- Nous y sommes déjà. Quand j'ai commencé à écrire fin 87, j'ai appris que venait d'être réalisé le premier clonage d'un veau. Un an plus tard, "Granada Genetics" fait des affaires avec cette technique et fabrique des veaux sur mesure. je pense que je suis en retard et que nous aurons des clones humains avant la fin du millénaire. Même s'il existe une auto-interdiction aujourd'hui, une telle dérive est possible. Il suffit de passer de l'interdit à l'acte: quand les barrières morales, juridiques, religieuses, éthiques ou institutionnelles sauteront, nous y serons. "

- Mais pour l'instant, nous avons les robots et l'intelligence artificielle.

- Il n'y aura pas de basculement subit. Les deux mondes vont coexister, puis à cause d'une logique économique, on se dirigera vers les clones plutôt que vers les robots. La robotique et l'intelligence artificielle coûtent très cher, tant en recherche-développement qu'en exploitation. Il est clair que si un jour on propose une main-d'oeuvre d'esclaves avec des justifications morales, alors on l'utilisera. L'ère des clones commencera. "

- Ce n'est pas nouveau...

- Non, on l'a compris dès l'Antiquité et les nazis utilisaient aussi leurs prisonniers pour l'industrie allemande dans les camps de concentration. Imaginez un instant ce que coûte un robot qui enlève un bout de ferraille qui obstrue un conduit de centrale nucléaire. Une fortune. Si pour 500.000 F, on peut avoir un clone qui fasse le même travail, peu hésiteront. En outre, il pourra être récupéré et avoir d'autres utilisations. Dans le domaine médical par exemple, ses organes pourront servir à des transplantations. Sans compter les applications militaires.

- Sérieusement ?

- Un marché existe déjà. En Turquie, aux Pays-Bas, des reins sont achetés pour 200 à 300.000 F. Le clone sera présenté comme une manière d'améliorer le fonctionnement du marché.

- Après tout, ce n'est qu'une espèce non déterminée ?

- Non, c'est un homme, si l'on considère comme être humain toute créature qui présente tout ou partie du patrimoine génétique humain. Cependant, ce n'est pas clair pour tout le monde, même pour l'Eglise.

- Votre vision est très pessimiste ?

- C'est la fin de l'humanité. C'est le rêve réalisé des nazis et de H. G. Welles, avec des classes différentes: des sur et des sous-hommes. A partir du moment où le clonage de l'homme sera réalisé, on va le spécialiser. On pourra fabriquer à la chaîne des clones mineurs de petite taille qui résisteront à la chaleur; d'autres auront des qualités diverses, liées à la tâche qu'ils devront accomplir. A un degré moindre, les cabinets de recrutement agissent déjà ainsi en définissant un profil type pour un poste donné.

Recueilli par Patrick PEROTTO

© L’Est Républicain, 9 janvier 1990


Portrait

     Âgé de 39 ans, il a fait des études de psychologie et de philosophie à Strasbourg. Plus proche de Platon que d'Aristote, il apprécie aussi Descartes, "dont tout l'itinéraire consiste à chercher la lumière".

     Après avoir enseigné la psycho en faculté, il intègre un groupe pluridisciplinaire d'études et de recherche sur la science. Il s'y occupe notamment de contrats sur la sécurité dans les laboratoires de recherche de l'Etat: "A cette époque, je me suis rendu compte que des chercheurs américains venaient en France, parce que notre législation est plus permissive que chez eux. Ce qui est interdit là-bas ne l'est pas nécessairement chez nous". Dans le même temps, il publie un livre "Systèmes experts", traduit aux Etats-Unis et best-seller de l'édition scientifique.

     Puis, J. -M. Truong intègre le privé dans un groupe qui s'occupe de transfert de technologie, avant de créer, en février 84,Cognitech, avec M. Bonnet, professeur à l'ENS Telecoms et Jean-Paul Haton, professeur au CRIN à Nancy, l'un des meilleurs spécialistes mondiaux de l'intelligence artificielle. Cognitech est la première société française spécialisée en ce domaine. Aujourd'hui, l'auteur travaille comme consultant entre autres pour Usinor-Sacilor, après deux années sabbatiques consacrées à l'écriture.

     Roman, tel est l'intitulé de "Reproduction interdite". En fait, cette histoire racontée à travers les pièces d'un dossier, à l'instar de "Dossier 51" de Gilles Perrault, est bien davantage: "La vision de l'holocauste peut se lire à travers le compte-rendu des aiguilleurs des chemins de fer allemands", dit l'auteur pour expliquer son découpage.

     En ce moment, il prépare un second roman : "l'action se situera dans le sud de la France et se déroulera dans un milieu de haute technologie, un laboratoire de la Marine nationale.

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