Auteur
d'un livre prémonitoire sur le clonage en 1988,
Jean-Michel Truong estime que le clonage thérapeutique
ouvre la voie au clonage reproductif.
Strasbourgeois
d'origines alsacienne et vietnamienne, scientifique spécialisé
dans l'intelligence artificielle et consultant en transfert
de
technologies avancées, auteur de " Reproduction
interdite " (Plon), roman policier qui sera réédité
en mars, sur le clonage dont l'action se déroule
en Alsace et dont les droits ont été achetés
par Jean-Jacques Beineix, Jean- Michel Truong s'apprête
à publier " Eternity express " sur
le problème du vieillissement de la population
et ses conséquences (Albin Michel).
-
Votre roman publié voici une quinzaine d'années
s'est avéré prémonitoire. Vous y
évoquiez une affaire autour de clones en 2037.
Comment avez-vous perçu la fausse annonce des raéliens
?
- Elle est ce qu'elle est. En revanche, les réactions
sont plus intéressantes. On est toujours dans le
déni que j'ai connu à la sortie de mon livre.
On estimait alors impossible d'en arriver là et
nous voici au pied du mur. En fait, les scientifiques
se saisissent de ce canular pour différer le moment
où ils seront obligés de prendre en compte
la réalité du clonage humain. Il était
évident que les manipulations génétiques
dans les années 80 allaient déboucher sur
le clonage. Après avoir dit pendant des années
que c'était impossible, les scientifiques affirment
depuis 1996 qu'il ne fallait pas franchir le pas. Mais
rien n'a été fait pour l'interdire.
-
La France et l'Allemagne ont pris une initiative à
l'ONU en ce sens, mais elle est bloquée
par le Vatican et les Etats-Unis qui veulent aussi interdire
le clonage thérapeutique pourtant déjà
autorisé dans plusieurs pays d'Europe...
- Pour l'instant, il faut aussi bloquer le clonage
thérapeutique. Il pave la voie au clonage reproductif.
Avec le premier, les chercheurs développeront les
outils qui rendront banal le second. Ceux qui disent le
contraire sont des hypocrites. Les cellules souches ne
sont pas la seule voie possible pour le clonage thérapeutique.
Ce tabou-là devrait sauter en dernier ressort.
Je ne suis pas opposé au clonage thérapeutique.
Lembryon n'est ni une personne, ni une vie et on
a le droit de faire un calcul de vie. On peut sacrifier
une vie, mais on devrait faire ce calcul en dernier ressort.
-
Les raéliens ne s'embarrassent pas de ces considérations.
- Non. Leur désir est de mettre en avant le
pire pour faire passer le moins pire. Le clonage pour
eux reste le moyen d'acquérir la vie éternelle
et en annonçant une naissance autour de Noël,
il se raccroche à la mystique du Messie. C'est
très bien joué. Ça ne les déstabilise
pas auprès de leurs adeptes et pour un public plus
large, c'est un coup fantastique. Ils ont accrédité
l'idée que le clonage n'était qu'affaire
de faisabilité technique. D'ici quelques mois,
on aura oublié le coup et on se souviendra de la
possibilité de mettre au monde un clone.
-
Vous situiez l'action de votre roman en 2037. L'histoire
s'accélère-t-elle ?
- Je voyais une évolution linéaire avec
un progrès continu. Depuis quinze ans, le décollage
a été lent mais désormais les choses
s'envolent avec une progression exponentielle. La raison
fondamentale du clonage est évidemment économique
et l'on se cache derrière un alibi médical
ou humanitaire. D'ici vingt ans, je suis persuadé
que l'on utilisera des clones à des fins médicales,
nucléaires et militaires. Un scientifique anglais
parle déjà " d'organs bags ",
de sacs d'organes.
-
Vous semblez en vouloir aux scientifiques. Que leur
reprochez-vous ?
Ils sont trop souvent juges et parties et peuvent être
sujets à des conflits d'intérêts.
En matière d'éthique, ils n'ont pas à
dire ce qu'il faut faire. C'est de la responsabilité
de chacun d'entre nous et de toute la société
qui doit se saisir du débat. Pour l'instant, beaucoup
de scientifiques sont opposés au clonage reproductif,
parce qu'il y a encore trop de risque. Mais cette barrière
tombera dès que la technique sera davantage au
point.
Propos
recueillis par Patrick PEROTTO
© LEst républicain, 12 janvier 2003
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