L'important
n'est pas de savoir si c'est ou non un livre réussi.
Un bon gros best-seller, tenant du roman policier et
de l'histoire d'espionnage, mâtiné de science-fiction,
avec un zeste d'érotisme. L'intéressant
est que l'auteur, Jean-Michel Truong, ait choisi de
mettre l'éthique au centre d'un roman de ce type.
Et que, déjà, un cinéaste, Jean-Jacques
Beineix, en ait racheté les droits.
L'action
se situe quelques décennies après l'an 2000,
à Strasbourg, capitale de la confédération
européenne. Au cur d'un secteur industriel
fort rentable : la production de "clones" à
usage médical, industriel ou militaire. Ces "clones",
répliques, duplicatas, nés après
division d'un premier embryon, on a décidé,
pour plus de commodité et de liberté d'exploitation,
qu'ils n'étaient pas des humains.
On
s'arrange pour qu'ils ne parlent pas, on les manipule
au gré des besoins, on les sélectionne pour
telle ou telle activité. Élevés en
"batteries", soignés par des vétérinaires,
ils se révèlent plus performants et moins
coûteux que des robots...
L'Église,
longtemps, a résisté. Notamment par l'encyclique
aussi fameuse qu'imaginaire Sed humaniter du tout
aussi fictif premier pape noir de l'histoire : Pierre
Augustin Ier condamne toute manipulation de l'embryon
et rappelle le respect absolu dû à la personne
humaine dès les premiers instants de sa conception.
Mais un Concile de Francfort modifiera la position de
l'Église, sous la pression de l'opinion publique
et des intérêts économiques.
Ne
rêvons pas : ce n'est pas la conclusion d'un vaste
débat éthique mais les intérêts
économiques d'un autre camp qui viendront à
bout de l'exploitation des clones. Pour ce faire, ils
s'appuieront pourtant sur l'idéalisme d'un ancien
prêtre (excommunié pour être resté
fidèle à la tradition) qui rendra leur humanité
aux clones.
Dominique
QUINIO
©
La Croix, 18 janvier 1989
J.-M.
TRUONG CHAMPION DE LA GENETIQUE-FICTION
En
voilà un qui ne chôme pas. Lauréat,
pour son roman Reproduction interdite, des coquets
100000 F du prix Mannesmann-Tally - le premier constructeur
européen d'imprimantes -, Jean-Michel Truong (né
en 1950) fait partie de ceux qui ont conquis l'informatique
au débotté, avec ce bel appétit que
savent y mettre les littéraires. Né à
Strasbourg d'un père vietnamien et d'une mère
alsacienne, il suit à l'université Louis
Pasteur ces études qui font défaillir d'angoisse
les éducateurs au regard fixé sur la ligne
bleue de l'excellence : psychologie et philosophie. Ça
n'est pas d'avenir, mon fils!
Jean-Michel
Truong a fait, comme d'autres, la preuve du contraire.
Passionné par les sciences autant que par les lettres,
il devient, à 26 ans, consultant chez Euréquip.
On y forme alors aux nouvelles technologies des cadres
et ouvriers d'Afrique ou du Moyen-Orient. Ce qui suppose,
en retour, l'art et la manière d'apprendre la clarté
ou les contacts humains à nos technologies de pointe.
Jean-Michel Truong comprend si vite la musique qu'il ouvre
bientôt son propre cabinet et s'occupe d'un contrat-monstre :
préparer l'implantation des centraux téléphoniques
ultramodernes de CIT Alcatel en Inde. Du coup, il franchit
un pas de plus en créant Cognitech (1984), société
spécialisée en intelligence artificielle,
qui accède vite aux premiers rangs. En deux ans,
voici Jean-Michel Truong passé de 0 à 25
millions de francs de chiffre d'affaires, patron de près
de 60 personnes.
Trop
vite, trop grand? En tout cas, face aux augmentations
de capital et aux banquiers, notre homme se trouve à
l'étroit. Il revend tout et se retrouve, en 1987,
avec un "agréable petit pécule".
Incorrigible, il profite bien de l'année de vacances
qu'il s'octroie pour l'occasion. Se retirant dans les
Hautes-Pyrénées, il y concocte la folle
histoire de Reproduction interdite. Comment on
en vient à cloner les hommes et à créer
un véritable bétail de "doubles"
fort utile pour diverses expérimentations.
Bien
sûr, ce qui devait arriver arrive. Le jury Mannesmann-Tally,
chargé de récompenser le meilleur ouvrage
d'imagination lié à l'informatique, le
repère. Truong l'emporte sur Arthur C. Clarke
et Asimov. Et, déjà, Jean-Jacques Beineix
envisage de tirer un film de ce thriller inattendu.