Si
les Justes le voulaient, ils pourraient créer
un monde disent nos maîtres. La tradition ajoute
que des Sages ne se sont pas privés de créer,
par magie, dit-on, et en invoquant les noms divins,
un Golem, un être qui est homme sans être
homme, serviteur inquiétant plein de vitalité,
mais sans néfech ni roua'h, sans âme ni
esprit.
Dans
Sanhédrin 65b, Rava, un maître, a fabriqué
son Golem et l'a dépêché auprès
de rav Zéra qui s'en est moqué. Il est
muet, ton Golem. Car la parole fait l'homme.
Elya, rav de 'Helm, rav
Zvi Hirsch Achkenazi et rav Jacob Emden ont posé
une question essentielle. Ce Golem dont le front est
marqué du signe Emeth, vérité,
peut-il faire partie de la prière de la communauté,
du minyane ? Non, ont-ils répondu.
Le mythe fait de rav Juda
Loev ben Bezalel du Prague de la Renaissance, le créateur
du plus légendaire, du plus menaçant des
Golems. Survivant dans le roman de Meyrinck et dans
le cinéma allemand d'avant-guerre, ce Golem,
ni homme, ni animal est si menaçant que son maître
est obligé de le renvoyer à la poussière
lorsqu'il devient péril mortel pour les habitants
de la ville. Sans référence au Golem juif,
Jean-Michel Truong dans "Reproduction Interdite" (Olivier
0rban), un roman de science-fiction passionnant, haletant,
imagine que d'ici un demi-siècle, et sans doute
même avant quinze ans, me dit son auteur, l'industrie
pourra, à partir d'embryons démultipliés,
fabriquer un nombre infini d'humains du type qui conviendra.
Des Golems comme vous et moi, des jumeaux avec un coeur
et une sensibilité. Mais qui ne seront pas lâchés
dans la nature comme les humains nés selon les
voies millénaires.
Stockés, manipulés,
élevés, congelés, ils seront une
sous-humanité, une réserve à l'usage
de la race des seigneurs que nous sommes. Au Choix,
ils serviront de main-doeuvre quasi-gratuite,
ou d'objets sexuels, ou de pièces de rechange.
Votre enfant accidenté a besoin dun rein
ou même d'un membre de rechange, le clone ou son
double depuis sa naissance est là à son
service. On ira le quérir dans l'une des réserves
ou camps de concentration dont le romancier rappelle
le précédent nazi.
Jean-Michel Truong est
effrayé par cette vision. Ce qu'on fait aujourd'hui
pour les veaux à partir d'embryons, on pourra
le tenter et le réussir en fabriquant à
partir des embryons de l'homme des êtres que l'on
appellera clones pour n'avoir pas à les appeler
hommes ou femmes.
Il est convaincu que pour
des raisons de profit ou de domination, on refusera
de reconnaître à ces clones le bénéfice
des déclarations des Droits de l'homme. Comme
on l'a refusé dans l'histoire aux nègres,
aux juifs, aux Indiens et à ceux qui pensent,
dit-on, de travers... Les clones sont encore au royaume
de nos fantasmes et nul Beth-Din ne doit résoudre
d'urgence la question de savoir si un embryon issu d'une
mère juive, puis manipulé, congelé,
stocké, pourra un jour être considéré
comme un clone juif.
La sorcière, dit
la Tora, ne doit pas être laissée en vie
- pas pour des raisons futiles, sinon grotesques - pour
lesquelles au moyen-âge de malheureuses créatures
innocentes furent brûlées vives par l'Eglise.
Si la sorcière doit périr, c'est, disent
les commentateurs, en raison des manipulations génétiques
qu elle pourrait entreprendre.
Selon le Gaon de Vilna,
rabbi 'Hayyim de Volojine voulant fabriquer un Golem
eut une vision si troublante qu'il renonça à
son projet.
Mais une malédiction
suffit-elle à conjurer l'avenir? Incessamment,
le Comité National d'Ethique doit se prononcer
sur le sort à, réserver aux près
de quatre mille embryons congelés en surnombre
et dont la conservation coûte et embarrasse.
Il s'agit d'embryons congelés
depuis des années, dit un papier du "Monde"
(27.1.89 - Frank Nouchi et Henri Tincq), sur requête
de couples qui, suivant les besoins, les chances ou
les opportunités, envisageaient des fécondations
in vitro.
Qu'en faire ? Quatre choix
apparaissent. Les renvoyer à leurs expéditeurs
pour usage conforme, permettre à des couples
stériles de donner la vie, réserver ces
embryons pour des expériences scientifiques ou
plus simplement les jeter.
Le père Patrick
Verspieren, jésuite représentant l'Eglise
catholique au Comité National d'Ethique et qui
hier s'élevait contre l'avortement, est partisan
aujourd'hui de supprimer les embryons en surnombre.
"Il s'agit de prendre acte de l'impasse dans laquelle
on se trouve, de décongeler les embryons et de
laisser s'éteindre leur vie", dit-il.
Impasse est le moi le
plus important. La manipulation des embryons peut en
effet aboutir à des situations délirantes,
encore que Jean-Michel Truong, catholique, estime que
l'embryon est commencement de vie humaine, respectable
comme toute vie humaine, et qu'une adoption par un couple
stérile serait une solution.
Mais, que l'embryon soit
vu comme étant déjà un enfant en
formation ou un germe pas plus important qu'un spermatozoïde,
on s'aperçoit avec stupéfaction que la
saison des embryons congelés annonce la saison
des clones et du Golem, terrifiant miroir de nos sorcelleries.
Henri SMOLARSKI
© La Tribune Juive, 8 février 1989