Mutinerie
meurtrière dans une maison d'arrêt. Improbable
suicide d'un éminent biologiste, milliardaire
de sur croit. Et, sur ces deux affaires, nomination
d'un juge, intègre, indépendant, dont
la pugnacité promet une battue riche en rebondissements...
Les premières pages tournées, les ingrédients
sont là, qui laissent supposer la plus classique
des trames policières.
Rattacher aussi vite Reproduction
interdite à un seul genre littéraire,
c'est omettre deux indices qui mènent l'un et
l'autre à la science-fiction: l'histoire commence
en l'an 2037; et Jean-Michel Truong, son auteur, a été
formé à la psychologie et à la
philosophie avant de fonder, en 1984, la première
société française spécialisée
en intelligence artificielle. Et c'est bien aux confins
de la science et de la philosophie, dans cet espace
subtil qui fait que l'homme est homme, ni chose, ni
animal, que nous entraîne son premier roman.
Vercors avait baptisé
"Tropis" ses Animaux dénaturés,
que la communauté humaine refusait de reconnaître
pour siens. Truong transpose. Il les invente clones,
issus de l'homme (par manipulation génétique)
et fabriqués par lui à l'échelle
industrielle, pour les besoins de la science, de la
défense et de l'économie.
Lorsque le jeune juge
Rettinger entame les deux instructions, la première
expérience de clonage et de gestation in vitro
d'un embryon humain remonte à quarante-quatre
ans. Depuis, sur la planète, les clones sont
millions. Génétiquement programmés
pour n'avoir aucun accès au langage - donc à
la conscience -, parqués dans les entrailles
de leurs usines mères, ce sont eux qui partiront
à la guerre, fourniront leur corps à la
recherche et à la chirurgie ou remplaceront avantageusement
les robots de la terre. C'est vers eux, également,
que convergent toutes les pistes du magistrat et de
son commissaire. De quel poker entre les Grands du globe
ces créatures inoffensives sont-elles donc l'enjeu
?... Il peut coûter très cher d'approcher
la réponse,
Thriller mâtiné
de science-fiction, roman-fable en forme de cri d'alarme
à notre temps, Reproduction interdite
se risque aussi à une interrogation plus métaphysique
que policière sur l'essence de l'humanité.
Et, à peine entamée sa carrière
de papier, envisage déjà son avenir sur
grand écran. Le réalisateur Jean-Jacques
Beineix vient, en effet, d'en acheter les droits. Et
devrait, dans les années à venir, donner
image et mouvement à ce meilleur des mondes,
où "l'homme engendre son semblable à
seule fin de s'en repaître".
Laurence Vidal
© Le Figaro Littéraire, 6 février
1989
UN MANUSCRIT QUI VAUT SON PESANT D'OR
Olivier Orban détient
une véritable machine infernale: un simple manuscrit
intitulé Reproduction interdite, un premier
roman écrit par un as de l'informatique, Jean-Michel
Truong. Cet homme, âgé de trente-huit ans,
né d'un père vietnamien et d'une mère
alsacienne, spécialiste de l'intelligence artificielle,
a imaginé un thriller mâtiné de
science-fiction, un pire des mondes situé
entre les romans de Huxley et de Welles. L'intrigue
de Reproduction interdite présente un
monde, divisé en deux blocs, en proie à
une guerre économique. L'une des parties, qui
a axé sa recherche sur la robotique, dispose
d'une armada de robots ; l'autre, ayant choisi de privilégier
la recherche génétique, a réussi
à " cloner " des embryons humains qui
sont élevés comme des esclaves.
Le cinéma relaiera
l'effet dévastateur de ce roman puisque Jean-Jacques
Beineix, le réalisateur de Diva, de La
Lune dans le caniveau et de 37°2 le matin,
en a déjà acquis les droits pour son prochain
film sur simple lecture du manuscrit ! Le livre, quant
à lui, paraîtra fin janvier chez Olivier
Orban.
© Le Figaro Littéraire, 9 janvier 1989
Jean-Jacques
Beineix : des lions, des clones et des robots
Alors qu'il termine
dans le secret d'un auditorium de La Garenne-Colombes
Roselyne et les lions, avec Isabelle Pasco (sortie
prévue dans la première semaine d'avril),
Jean-Jacques Beineix pense déjà à
son prochain sujet de film. Il est tombé en arrêt
devant le manuscrit de Reproduction interdite,
le premier roman de Jean-Michel Truong, qui vient d'être
publié chez Olivier Orban. Un thriller qui se
situe dans un proche futur, dans un monde divisé
en deux blocs qu'oppose une guerre économique
; d'un côté, des spécialistes de
l'informatique et leur armée de robots, de l'autre,
des généticiens qui ont réussi
à " cloner " des embryons humains afin
de créer des esclaves.
"La robotique
et le clonage, explique Beineix, représentent
autant de défis à la morale et aux lois
de l'humanité. C'est une intervention
de l'homme sur l'homme dans ce qu'il possède
de plus personnel et de plus intime : sa carte génétique.
Lorsque j'étais étudiant en médecine,
l'un de mes professeurs nous enseignait que la connaissance
humaine croît à une vitesse exponentielle.
Lentement d'abord, puis de plus en plus vite, vers l'infini.
Il nous donnait alors l'exemple d'un étang dans
lequel se trouvaient des nénuphars. Le premier
jour, les nénuphars atteignaient la moitié
de l'étang, le lendemain ils en couvraient toute
l'étendue. Cette image reste présente
dans mon esprit."
Jean-Jacques Beineix ne
cache pas à ce propos sa peur du futur ; manipulations
génétiques, fécondations in vitro,
redéfinition de la mort clinique, " les
fondements mêmes de la métaphysique ".
D'où cette rencontre avec Jean-Michel Truong,
alsacien par sa mère et vietnamien par son père,
ce petit génie de l'intelligence artificielle
: "Truong a su traduire le langage informatique
en littérature. Il enfonce un scalpel aiguisé
dans la quiétude de notre morale dissolue, montrant
avec romanesque et poésie les perversions et
les ambiguïtés de l'homme moderne. Bref,
un réquisitoire, un constat qui conduit au désespoir
ou à l'illusion si l'on ne désire pas
voir en face la réalité."
B.B.
© Le Figaro Littéraire, 8 février
1989