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La
Philosophie de la Méduse
par
David CAMUS
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La
Philosophie de la Méduse
Jean-Michel
Truong est quelqu'un de tout à fait étonnant.
Alors qu'il n'est pas à proprement parler un
écrivain de "science-fiction", son livre Le
successeur de pierre remporte en 1999 le Grand Prix
de l'Imaginaire du meilleur roman français de
science-fiction. Ce livre, dont l'action se situe dans
un futur proche où la moitié de la population
du globe vit dans des habitations isolées du
monde extérieur, pratique le "Zéro Contact"
et ne communique plus que par le biais d'avatars "interactifs",
nous propose de nous interroger sur le devenir de l'espèce
humaine, et de l'intelligence.
En
effet, l'une des thèses de Jean-Michel Truong,
que son livre met admirablement en scène, est
que l'espèce humaine n'est pas la fin de l'univers,
mais principalement (uniquement ?) le porteur, le véhicule
de l'intelligence, qui vise à "se répandre
dans l'univers et le coloniser" . Alors que de
très nombreux livres de science-fiction traitent
le sujet en envoyant l'homme dans des vaisseaux spatiaux
à la conquête d'étoiles toujours
plus lointaines, Truong, lui, fait dire par un de ses
personnages que les vols spatiaux ne sont que "vaines
foutaises" et que : "en vérité ( ... ),
l'espèce humaine ne quittera jamais la banlieue
terrestre".
Voilà
qui va sans doute en démoraliser plus d'un. En
fait, Truong va encore plus loin, et écrit :
"L'homme n'est pas le vecteur approprié pour
répandre la vie dans les étoiles."
Mais
ce n'est pas si grave, car l'homme a bien d'autres choses
à faire, et notamment, se trouver un successeur...
Et c'est là qu'intervient la pierre du titre.
Le minéral, contrairement au végétal
ou à l'animal, dure. Il est plus résistant,
plus solide, il est... le véhicule idéal.
De l'intelligence.
En
fait, il y a des aspects de ce livre qui ne sont pas
sans rappeler le magnifique Les Enfants d'Icare,
d'Arthur C. Clarke, qui mettait en scène la fin
de l'espèce humaine, dépassée par
ses propres enfants. L'espèce humaine n'existait
plus en tant que telle, mais se transcendait en... quelque
chose d'autre, qu'elle ne comprenait pas tout à
fait.
Cette
réflexion, cette histoire, est symptomatique
du parcours, de la philosophie, de Jean-Michel Truong.
Ce n'est pas par hasard qu'il réfléchit
sur ces thèmes. A vrai dire, ils font même
partie de sa vie.
Jean-Michel
Truong, 49 ans, né en Alsace, se définit
lui-même comme un être hybride : "à
la fois alsacien, vietnamien, et cantonnais, à
la fois littéraire et scientifique ". Un être
alternatif, en quelque sorte, qui lorsqu'il décide
de créer la première start-up d'intelligence
artificielle le fait "entièrement", et qui, lorsqu'il
décide d'écrire un premier roman (Reproduction
interdite, chez Plon), "s'arrête de travailler
pendant deux ou trois ans pour ne se consacrer qu'à
l'écriture".
Pour
définir son mode de vie, la façon dont
il passe d'un métier à l'autre (il a tout
d'abord voulu être médecin, puis a été
professeur, conseiller en transfert de technologie,
directeur de société, écrivain,
puis enfin (comme il le dit lui-même) "mère
maquerelle" (c'est-à-dire "intermédiaire"
pour les grandes entreprises françaises désireuses
de s'implanter en Chine), il a une expression : la "philosophie
de la méduse".
"J'ai
la philosophie de la méduse - nous dit-il - qui
se laisse emporter par les courants ; et qui est aussi
la philosophie du judo, que j'ai appris dans ma jeunesse.
En fait, j'ai appris à ne pas m'opposer à
la force, mais au contraire à la subvertir, et
à la mettre à mon service. Je n'oppose
pas ma volonté aux événements,
et je m'en suis toujours très bien trouvé."
Son
propos, merveilleusement illustré par son livre,
est donc à son image : paradoxal en apparence,
mais en apparence seulement. Truong nous dit que ce
qui compte chez l'homme, ce n'est pas la forme, la carcasse...
c'est l'âme (ou "l'intelligence", si l'on préfère).
C'est elle qui dure, c'est elle qui constitue notre
véritable identité. En fait, Le Successeur
de pierre est certes un excellent thriller, un bon
polar, un beau récit philosophique, et un livre
de science-fiction particulièrement original,
mais c'est surtout un grand roman humaniste, contemporain.
© Rendez-vous Ailleurs, n°26,
janvier-mars 2001
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