Le Successeur de pierre
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Le Successeur de pierre
par Michel Pébereau

Californie 2032, unité de survie Milton Friedmann. Le domicile du jeune Calvin. Pour échapper à la grande peste qui décime l'humanité, les gouvernements des pays industrialisés, unis par le Pacte de Davos, engagent la politique du « zéro contact » : les rescapés sont isolés dans des unités de survie, véritables cocons individuels accumulés en de gigantesques pyramides. Le Web est là pour assurer les contacts. Le Web qui permet de créer, en trois dimensions, les décors dans lesquels s'organisent les rencontres, de donner corps, par l'entremise de « pollochons » , aux images virtuelles des interlocuteurs, de faire l'amour à distance. Le Web qui assure, dans tous les domaines, l'unité du marché mondial, notamment via une bourse du travail internationale.

Le Web est aussi l'instrument de toutes les tromperies, de toutes les trahisons. Un serial killer peut impunément animer les pollochons pour éventrer d'innocentes victimes. Aucun des amis de Calvin n'est ce qu'il prétend être. Et derrière leurs images séduisantes, les puissants de ce monde, hommes politiques, chefs d'entreprise, présentateurs de télé, sont autant de vieillards assoiffés d'argent et de pouvoir. Le marché du Web est une véritable foire aux esclaves qui exploite cyniquement les travailleurs de tous niveaux. Et le pacte de Davos a pour objectif caché de détruire, à terme, tous ceux qui n'appartiennent pas à la classe supérieure des « Imbus ».

Une partie de l'humanité en est consciente. La Chine, tout d'abord, qui s'est fermée au Web. Et puis le mouvement du Noplug, gauchiste et anarchiste, venu de France, structuré par Ada, la mère de Calvin, une informaticienne de génie qui a réussi un casse de 100 milliards de dollars. Le piratage d'un film à très grand spectacle, Wonderworld , imputé aux Chinois, déclenche l'effondrement de la bourse et une crise internationale. Le monde tranquille de Calvin vole en éclats tout en dévoilant la face cachée du Web et du « zéro contact ».

La charge de Jean-Michel Truong contre l'économie de marché et l'exploitation qu'elle peut faire du Web a cependant une autre ambition. L'auteur propose une relecture... du Nouveau Testament. Une mystérieuse bulle de saint Pierre, transmise de pape en pape, jusqu'à sa disparition en Asie en 628, à l'époque de l'hérésie nestorienne, est redécouverte : elle va permettre de comprendre qu'après son pacte avec le peuple de David puis avec le peuple chrétien, Dieu aspire à une nouvelle alliance, qui risque de se fonder sur les ruines de l'humanité.

L'univers de Truong est assez manichéen, et son jugement sur l'économie de marché, les démocraties occidentales, l'église catholique et sur les institutions ne s'embarrasse pas de nuance. Mais sa pensée est originale et créatrice. Son livre, un formidable suspens riche de multiples rebondissements, se lit très agréablement. Un vrai plaisir.

Rez, la vedette d'un groupe de rock, annonce sa décision d'épouser une star de la télévision : Idoru, une chanteuse artificielle, créée pour et par le Web. Consternés, certains clubs de fans se mobilisent. Et un privé, spécialiste de la réalité virtuelle, est chargé d'une enquête par l'un des groupes capitalistes qui, dans l'ombre, veillent sur l'avenir de la vedette. Dans un Tokyo ultramoderne, reconstruit après un tremblement de terre, les manoeuvres de la mafia russe et des groupes financiers, quelques rockers et internautes viendront compliquer son enquête comme celle que conduit parallèlement la jeune émissaire d'un club de fans.

L'intrigue policière est très réussie, le récit est riche en suspens et en rebondissements. Comme Le Successeur de pierre , Idoru est surtout l'occasion de réfléchir à la civilisation du Web. Créateur du courant cyberpunk, Gibson a lui aussi une vision assez sombre de notre avenir. Mais comme Truong, il fait en définitive confiance à la capacité de survie de l'humanité.

Michel Pébereau

© La Recherche 1999

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