Le Successeur de pierre
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Le Successeur de pierre
par Bruno PEETERS

Roman historique ? philosophique ? religieux ? Anticipation ? Utopie? Dystopie? Cyberpunk? De tout cela un peu; mais que Le successeur de pierre appartienne à la science-fiction, personne n'en doutera, hormis... Jean-Michel Truong lui-même, tout étonné de recevoir, pour son livre, le Grand Prix de l'Imaginaire, lors d'Utopia 99! (voyez son interview, dans ce numéro). Cet ouvrage, étrange et inclassable en fait, laisse une très forte impression, par l'érudition de l'auteur d'abord, puis surtout par le souffle grandiose de sa vision. Tout commence en 628 par la disparition, au coeur de l'Asie centrale, d'une mystérieuse Bulle de Saint-Pierre, laquelle contiendrait un secret terrible pour l'humanité et dont seuls les papes ont connaissance. Brusquement, l'on passe en 2032, en Californie. Après une peste qui décima le tiers de la planète, les hommes vivent le Grand Enfermement. Tapis dans d'immenses pyramides, ils ne communiquent entre eux que par le web. Nous ferons la connaissance graduelle des personnages-clés du roman, par le biais de leurs longs entretiens. Décor, intrigue, passé et présent, identité réelle, tout se dévoile petit à petit, comme une toile se défaisant très lentement. En cela aussi, Le successeur de pierre participe pleinement de la SF, "littérature du non-dit". Tel un fil rouge, la recherche de la Bulle disparue interrompra régulièrement le cours du récit, pour aboutir, bien sûr au Vatican, où trône un pape français, en jeans et baskets. Jean-Michel Truong se livre à une réflexion profonde sur un monde dominé par la communication : le nôtre en somme, à peine transposé, ou plutôt le nôtre tel qu'il sera. Et là, il prend le contre-pied de l'idée reçue : si la vie, c'est lier, le web, c'est le contraire de la vie (p. 210)! Et la "Créature", dont il est constamment question, c'est celle qui, précisément, s'est emparée du web pour établir, sournoisement, pernicieusement, sa domination sur les hommes à qui, bientôt, elle succédera... Voila la thèse centrale de l'auteur, thèse énorme, stupéfiante, mais parfaitement soutenue et d'une étonnante pertinence. Et ici, il s'agit d'insister sur le brio de l'écrivain car la forme est aussi riche que le fond. Ses idées sont instillées au moyen d'un style dense et rapide, très imagé, d'une grande richesse de vocabulaire. Chaque répartie est précise, juste et lucide, et laisse le lecteur abasourdi par tant d'intelligence. Les réflexions sur l'Audimat, la beauté des tableaux de Millet, l'apparition des agents logiciels, l'oppression du Libre-Echange, le vieux Shanghai, et les Jésuites, pour ne prendre que quelques exemples glanés, frapperont par leur concision autant que par leur exactitude. Toutes ces images forment comme les mille facettes d'un immense vitrail que l'on ne découvre, entier et formidable, qu'à l'ultime page.

Oui, Le Successeur de pierre est un chef-d'oeuvre : les jurés du Grand Prix de l'Imaginaire ne se sont pas trompés.

Bruno Peeters

© Phénix 2000

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