Le Successeur de pierre
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Le Successeur de pierre

par Yodup

L'histoire

Vivement hier! Parce que la vie en 2032 n'a rien d'exaltante. La Terre a pris un sacré coup de vieux et l'ultra libéralisme un vigoureux coup de sang. Après la Grande Peste qui a décimé la population en moissonnant à travers tous les continents, les puissances occidentales, rassemblées sous la bannière -étoilée- du Pacte de Davos, ont décidé de mettre en place le dogme Zéro Contact. Une idée limpide: pour éviter toute contamination ultérieure de la population par un germe virulent, il suffit de cloîtrer la population dans des cellules individuelles, -les cocons- proscrivant ainsi le contact physique, et de relier tous les locataires via les immenses possibilités du réseau internet. Ainsi fut décidé et appliqué le Grand Enfermement, accepté plutôt docilement par les millions de personnes concernées.

C'était il y a vingt ans déjà. Calvin fait partie de cette génération qui n'a jamais connu l'air libre. Né dans l'une des "pyramides", vaste agglomérat de cellules qui remplacent désormais les anciennes mégapoles délaissées, il n'a plus qu'un vague souvenir d'un véritable contact physique. C'était lorsqu'il était encore dans les bras de sa mère, avant qu'il ne soit considéré comme suffisamment âgé pour disposer de sa propre cellule. Depuis, l'extérieur ne se conçoit que virtuel. Via le net, dont il a vite appris à maîtriser toutes les ressources, Calvin s'est intégré au sein d'une communauté virtuelle hétéroclite. Il y a là Ada, Thomas, Rembrandt, Nitchy, Chen. Qui sont-ils vraiment, réellement, en chair et en os? Calvin n'en a qu'une vague idée, car chacun ne montre de lui que ce qu'il veut bien. Chacun façonne son image virtuelle comme il l'entend. Tous mentent, comme Calvin le découvrira tôt ou tard. Même Maud, cette journaliste qui fait parfois appel à ses services de hacker et qui est aussi occasionnellement sa partenaire de "polochon", le simulacre sophistiqué qui tient lieu de relation sexuelle.

Et Calvin n'a pas fini d'en baver en approchant toujours de plus près la vérité, la terrible vérité qui se cache derrière le vol de la nouvelle merveille logicielle de Wonderworld, derrière ces meurtres perpétrés dans différents cocons, derrière ses amis, derrière cette société du Grand Enfermement dans laquelle il vit. Cette vérité que contenait déjà en substance la fameuse Bulle de Pierre, égarée au détour du VIIe siècle, dont le message était tellement impensable qu'il n'a jamais été dévoilé...

La critique

Vous ne regarderez plus jamais votre ordinateur du même oeil. Cette machine qui encombre votre bureau, cet enveloppe de plastique dur renferme une forme d'intelligence capable de concurrencer votre cerveau. Et de le surpasser dans bien des domaines. Qui, aujourd'hui, peut prétendre rivaliser avec une machine sur le plan du calcul? Essayer donc de calculer 123 puissance 39 en quelques dixièmes de seconde pour voir. L'ordinateur, lui, le peut. Et sans effort encore. Et sans erreur en plus.

Vous me direz que l'intelligence, ce n'est pas ça, c'est aussi la capacité à utiliser des connaissances en poursuivant un but, à réfléchir, à faire des choix raisonnés, à ressentir, à interpréter et à interagir avec son environnement, etc. Et qu'une machine, aussi sophistiquée soit-elle, est loin de parvenir à ce stade. Peut-être, aujourd'hui. Mais demain? Si l'on compulse notre histoire, on constate que l'on a mis du temps sur l'échelle de l'évolution, à atteindre notre intelligence actuelle. L'homo sapiens ne s'est pas fait en un jour, l'intelligence artificielle non plus, mais son évolution est quand même incomparablement plus rapide: songez qu'elle n'a qu'une cinquantaine d'années d'existence en comptant large. Dérisoire.

Mais pourquoi tout ce baratin sur l'intelligence? Parce que c'est le cœur du sujet. Imaginez une "entité" qui soit l'Intelligence à l'état pur. A sa place, est-ce que vous choisiriez pour véhicule une enveloppe biologique, fragile, périssable, sujette à des passions qui obscurcissent le jugement? S'il y avait moyen de trouver mieux, est-ce que vous ne seriez pas prêts à changer et à abandonner votre véhicule de chair imparfait?

Inutile d'aller plus loin. Le livre de Jean-Michel Truong se chargera d'emmener ceux qui osent s'y embarquer dans la démonstration, à la fois fascinante et effrayante, de l'hypothèse brièvement et maladroitement exposée ci-dessus.

Mais Le successeur de pierre est aussi un roman, ce qui ne gâche rien. Pourtant Jean-Michel Truong, philosophe, sociologue, expert en transfert de technologies et en intelligences artificielles (et encore, je résume) se défend d'être romancier. Mensonge! Son livre démontre tout le contraire. Bienécrit, il s'articule autour d'une construction éclatée (multitude des personnages, des points de vue, des événements) a priori casse-gueule, mais qui est admirablement maîtrisé, tant le résultat apparaît fluide et même mieux: évident. Pour éviter de multiplier les pavés explicatifs (qui, forcément, ralentissent le déroulement de l'intrigue), Jean-Michel Truong privilégie les dialogues et fait preuve d'un didactisme remarquable à toutes les pages, ce qui semble traduire le souci constant de l'auteur de ne pas perdre son lecteur en cours de route. Ces efforts sont effectivement les bienvenus. Pas tant pour l'intrigue d'ailleurs (même si elle est bien fournie) que pour les différentes notions qui la nourrissent et qu'il est capital de bien assimiler pour suivre la démonstration époustouflante de l'auteur.

Car c'est de là que Le successeur de pierre puise son étonnante force: dans la capacité de Jean-Michel Truong à poser, par le biais d'éléments romanesques, des questions cruciales, et à soumettre des hypothèses surprenantes parce que radicales et bien souvent opposées au sens dans lequel le courant des idées a coutume de couler en ce moment. Rares sont en effet ceux qui osent s'attaquer frontalement à l'anthropocentrisme, encore plus rares ceux qui le font avec pertinence et qui avancent des arguments véritablement convaincants.

Bien sûr, on peut ne pas être d'accord avec les idées de Jean-Michel Truong, mais cela sous-entend que l'on a pris le temps de réfléchir aux questions qu'il pose. Ce n'est pas là la moindre des réussites du Successeur de pierre que de parvenir à susciter ce questionnement. En plus d'être un sacré bon roman.

(*) Allons bon! C'est quoi ce genre alambiqué? En fait, une lecture rapide du Successeur de pierre nous incite à le classer dans le rayon science-fiction, catégorie anticipation division cyberpunk. Sauf que ce n'est pas si simple: l'auteur n'a pas pour ambition de faire de la sf, cela ne l'intéresse pas. Comme il l'exprime dans une interview, il a souhaité livré une oeuvre d'extrapolation. Ce qui, lorsque l'on s'y attarde, est lourd de signification. Extrapoler, c'est prévoir l'avenir de façon rationnelle, en se basant sur l'existant et en appliquant des règles pour voir ce qu'il va en advenir. L'imagination n'est pas requise dans le processus. Ce qui signifie que l'on souhaite obtenir un résultat probable! Certes, si l'on se réfère à ce qui a déjà été fait dans le même but (voir par exemple les prévisions des scientifiques de 1900 établies pour l'an 2000), on peut considérer que la démarche est sûrement intéressante, mais le résultat, lui, pas forcément pertinent. Dans le cas présent, il ne s'agit pas de conférer -ou pas- à l'auteur le statut de visionnaire émérite; il s'agit plutôt de ne pas perdre de vue à la lecture que certaines questions soulevées par Jean-Michel Truong sont bien réelles. En choisissant d'emprunter la voie de l'extrapolation, l'auteur cherche en effet à ce que le lecteur soit forcément confronté à ces questions et qu'il soit contraint de se les poser.

Cela précisé, chaque lecteur est libre d'adopter le point de vue de l'auteur, ou, au contraire, de n'en tenir aucun compte. Cela ne gâchera en rien le plaisir de la lecture. Tout au plus peut-on prédire des bouffées d'angoisse aux partisans de l'extrapolation...

Pour en savoir plus

Entre autres idées brassées par Le successeur de pierre, l'auteur affirme qu'Internet, contrairement à ce que l'on croit (ou ce que l'on essaie de nous faire croire pour mieux le vendre?), n'est pas un outil qui permet le rapprochement entre les hommes, mais qu'au contraire, il les éloigne, les divise, les individualise, faisant ainsi le jeu -dangereux- de l'ultra libéralisme.

Ce qui n'empêche pas Jean-Michel Truong de disposer d'un site très complet, sur lequel il développe et soumet ses théories et ses écrits à la critique des internautes.

Toujours plus

Pour l'anecdote, on notera qu'en 2032, on n'a pas oublié La Compagnie des Glaces de G.-J. Arnaud, ni la musique de Gérard Manset! Faut-il y voir l'une des conséquences de l'extrapolation? En tout cas, ce sont quasiment les seules références culturelles du XXe siècle qui sont mentionnées.

Yodup
http://perso.club-internet.fr/yodup/critiques_bouquins/futur/truong.htm

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