Palpitant
et énervant
par
Sarabé
Une
chose est sûre : ce roman de science-fiction construit
comme un polar se dévore avec avidité. A
travers la quête d'un texte apocryphe de Saint Pierre,
il nous dessine une vision terrifiante et sarcastique
de l'évolution du monde libéral, où
les avancées technologiques et la course au profit
achèvent de cloisonner la société
en "inclus" et en "exclus"…
Tous ces ingrédients en font une réussite
du genre, qui mérite bien d'avoir décroché
le grand prix de l'Imaginaire 2000.
Là
où je me sens nettement plus réservée,
c'est quand je considère ce livre comme l'exposé
romancé d'une thèse qui tient l'auteur à
cœur (et qu'il développe dans son essai "Totalement
inhumaine" ainsi que sur son site personnel) : l'espèce
humaine n'est que le tremplin temporaire d'une entité
intelligente, qui lui succèdera en empruntant une
"incarnation" plus parfaite, plus conforme à
ses objectifs. Bon. Je ne suis vraiment pas une spécialiste
des nouvelles technologies et du développement
de l'intelligence artificielle, je veux bien admettre
que celle-ci devient de plus en plus autonome et ne nécessite
plus un support organique… Mais de là à
y construire les bases d'une nouvelle religion ! Car c'est
bien, il me semble, ce que tente Truong : ce "Successeur"
hypothétique dont il annonce la venue a toutes
les caractéristique d'une divinité, et il
la traite comme telle : son avènement est inexorable,
ses voies sont inchangeables, l'homme n'est qu'un misérable
trognon qui n'a plus qu'à se résigner, même
dans le domaine politique et économique, puisque
de toutes façons, le "Successeur" en
a décidé ainsi.
Ce
genre de pensée doublement nihiliste, puisque morbide
d'un côté et mystique de l'autre (il n'y
a rien à faire et de toute façon nous ne
sommes responsables de rien) est sûrement ce qui
me met le plus hors de moi. Ces prophéties résignées
et paranoïaques sont d'une terrible vanité
: au sens d'un orgueil d'abord (prétendre détenir
une vérité finale) et au sens d'une inutilité
ensuite : que l'homme soit une espèce vivante susceptible
d'extinction n'est pas un scoop, me semble-t-il, et cela
ne change rien à notre monde. Critiquer l'état
des choses, les dangers de notre société,
pour s'arrêter résigné à une
volonté transcendante, revient à ne rien
critiquer du tout. Et à s'interdire d'agir. Non,
me répondrait sans doute Truong, on peut tout de
même agir, comme le font certains personnages du
"Successeur de pierre" dans les dernières
lignes du roman. Une poignée d'élus qui
"savent" et suivent des principes insaisissables…
Mouich. Voilà un goût amer de déjà-vu,
non ? Décidément, tout cela ne m'est guère
sympathique.
Sarabé,
11/06/2002
http://www.zazieweb.fr/site/fichelivre.php?num=1567&commentaire1=hop
retour
à la page Critiques Lecteurs
|