Entre critique sociale
et nihilisme latent
Par David
Coulon
Un livre à
la réflexion très intéressante,
qui englobe non seulement le devenir de l'homme, mais
aussi ce qu'il crée. Bien que le livre soit un
essai sur l'émergence d'une nouvelle forme de
vie conscience et intelligente totalement inhumaine,
mais créée par l'homme (le Successeur,
cad l'ensemble des systèmes informatisés
de la planète), cet ouvrage est surtout une réflexion
sur l'asservissement volontaire de l'homme sous le joug
des machines, et des conséquences qui en découlent.
Les machines ne me semblent d'ailleurs qu'une métaphore
des décideurs néo-libéraux, et
pas les outils informatiques actuels per se. Toutefois,
l'émergence de cette nouvelle intelligence est
tout à fait probable, dans la mesure où
les travaux récents en psychologie cognitive
montrent que la pensée peut exister en dehors
du langage (les recherches récentes, et les modèles
connexionnistes en sont une preuve frappante).
Je trouve donc
que ce livre est plus une critique sociale qu'une véritable
extrapolation sur le devenir de l'humanité et
de l'intelligence. D'une portée philosophique
et sociologique forte, Truong démonte à
la manière d'un entomologiste, la façon
dont le monde néo-libéral impose ses idées
et ses carcans. Le tout agrémenté d'un
point sur l'évolution darwinienne, et des travaux
les plus récents de l'IA.
L'Etat n'existe
plus, chez Truong. On peut d'ailleurs rapprocher ce
livre de celui de Loïc Wacquant : "les prisons
de la misère" (éditions raisons d'agir);
où il montre que les règles soi-disant
instituées par l'Etat, sont des règles
pré-élaborées et commanditées
par les lobbys entreprenariaux. Wacquant montre que
l'Etat devient un gestionnaire de la pauvreté
humaine que le libéralisme a provoqué.
De ce fait, l'Etat édicte des règles non
pas pour "encadrer" le libéralisme, mais pour
en masquer les conséquences désastreuses.
Un livre très instructif...
S'il est vrai
que l'on peut rapprocher ce livre des réflexions
de Bourdieu, il n'empêche qu'il possède
une force tout à fait personnelle, puisqu'il
englobe les connaissances actuelles en psychologie cognitive,
en IA, en sociologie. L'émergence peut-être
de la conscience politique dans les sciences cognitives
Pour conclure,
je dirais que je trouve le propos de Truong original
dans la mesure où il cadre son essai au travers
de la théorie Darwinienne, tout en massacrant
l'idéal absurde du Darwinisme Social dont les
libéraux sont adeptes. je trouve ça très
fort. Ce que j'aime bien aussi, c'est le côté
finalement nihiliste de la chose...qu'il soit libéral
ou social, l'homme est condamné à disparaître...
le Successeur est peut-être totalement inhumain,
mais l'homme a perdu son humanité depuis la seconde
guerre mondiale
alors, tant qu'à faire,
autant laisser la place
David
Coulon
©
Mauvais Genres, 08-févr.-2003