Le
successeur n'a pas d'épiderme
Par
Benoît Drapeau
Peut-on discourir
librement sur la portée d'une projection ?
La description
de ce sujet que nous décrit J.M Truong n'est
pas innocente. Je trouve d'ailleurs que cette celle-ci
est assez élogieuse. Comment ne pas être
fasciné par autant de pouvoirs, de migrations
d'un bien cher à l'humanité qu'est son
intelligence. Cette faculté d'adaptation à
des fins de survie, de maîtrise de l'angoisse
risque-t-elle un jour de virer au Tout-minéral
?
Je ne le crois
pas. Comme de nombreux lecteurs et critiques de cette
liste, je pense aussi que l'objectif premier de ce livre
est de nous éclairer. Le successeur est en marche,
qu'il court s'il le veut ; nous avancerons d'autant
plus avec lui. D'ailleurs, à ce propos, c'est
avec une grande difficulté que je tente de le
visualiser, de le matérialiser.
A quoi ressemble-t-il
? Que projetons nous au travers de son existence ? A
ce niveau, je souffre d'une myopie très handicapante
tant il semble être diffus.
Je retrouve dans
cet essai des observations tout à fait vérifiables.
Le support de communication que nous utilisons chaque
jour nous travaille, nous aliène tant il est
massif. Nous le regardons, nous en inspirons, l'embellissons
de nos productions mais il nous rend terriblement seul
et distant envers notre propre corps. Le sensible est
là, métamorphosé en des signes,
des écritures, des images... nommons ceci interactif
si nous le voulons. Mais plus profondément notre
rapport au monde est modifié, manipulé
au quotidien. "Nous évacuons de l'inconscience"
dans ce modèle interconnecté.
Désormais
liés aux destinées de la production scientifique,
il est intéressant de remarquer que celle-ci
nous fascine toujours autant. Nous la croyons maîtrisée,
futuriste, débordante de générosité
et de compassion tant nous apprécions de vaquer
à nos occupations favorites. Il est certain qu'elle
nous échappe totalement. Et si nous regardons
aujourd'hui ce modèle interconnecté d'une
façon homogène, tel une mémoire
apte à produire elle-même une conscience,
nous y observerons peut-être le successeur...
notre successeur ?
Il
est difficile de ne pas adhérer à la croyance
dans ce successeur. Il faut une forte obstination et
un recul conséquent pour se rendre compte que
ce monstre décrit sans épiderme soulage
nos existences de souffrances attendues. A l'image de
l'araignée sur sa toile, nous sommes peut-être
emmaillotés à des fins beaucoup plus organiques
que spirituelles.
©
Mauvais Genres 30-déc.-2002