Totalement inhumaine
Critique des lecteurs

 

Actualité de l'auteur

Interviews et portraits

Dialogue avec l'auteur

Facebook

 

 


Commentaire de Totalement inhumaine

par Claude Maveyraud

L'intelligence, prisonnière de sa gangue d'humanité automutilante et suicidaire, n'a pas d'avenir à long terme et survivra au mieux jusqu'à la mort du soleil. En fait un sauvetage est déjà en cours et s'élabore vers un hardware moins périssable appelé Successeur. Les travaux les plus récents montrent que la vie ne dépend que de l'organisation de la matière et non du support de celle-ci. C'est donc un processus multimédia par excellence. Doté d'un corps très résistant bardé de senseurs hypersophistiqués, d'un taux de mutation des e-gènes que sont les éléments de base des logiciels, d'un cycle de reproduction ultra-court et d'une sélection future (par prédation ou autre) pour ne garder que les meilleurs éléments, le Successeur bénéficie d'un beau départ dans la vie. De cet amalgame incohérent, la conscience un jour émergera par simple interconnexion massive de processeurs hyperrapides. "Il faudra le Net. Non la lamentable serpillière qui porte aujourd'hui ce nom, mais un réseau fluide comme l'air, rapide comme la lumière, dense comme un feutrage." Ensuite, n'en déplaise aux créationnistes ou aux anthropocentristes déguisés, il suffira de compter sur cet allié indispensable et inlassable qu'est le temps, de laisser faire l'évolution, bref, de durer.

Incroyable, dérangeant, passionnant, le lecteur est littéralement scotché sur son fauteuil sans pouvoir détacher son regard de ce texte si percutant. D'un ton toujours direct, incisif, Truong ne prend pas de pincettes pour présenter sa théorie. S'appuyant sur des données et des résultats scientifiques récents et exhaustifs, il démontre magistralement l'inexorable avancée et l'emprise du Successeur sur nos vies et celles de nos dirigeants, les Imbus, aveuglés et inconscients de leur propre aliénation par les mirages hallucinatoires des mèmes tels que "mondialisation", "nouvelle économie" ou "productivité", eux-mêmes générés par les e-gènes du Successeur. L'auteur dénonce la spirale infernale qui, depuis la seconde guerre mondiale en passant par la guerre des étoiles de Reagan jusqu'à la folie dot-com de la fin des années 90, engloutit des milliards de dollars, absorbe chercheurs et diplomés de tous poils et sacrifie les vies humaines à tour de bras sur les autels du Successeur. Le plus paradoxal étant la non-augmentation effective de la productivité. Mais la foi absolue dans son nécessaire concours et les bénéfices futurs qu'il peut engendrer explique les sommes faramineuses dilapidées, l'engagement délirant des Imbus et la mobilisation mondiale des énergies à son profit. "Ainsi dès sa naissance, toutes les composantes de son triomphe futur étaient en place : un contexte de compétition [...] des e-gènes procurant [...] un avantage décisif donc dans cette compétition ; [...] un ensemble de mèmes associant technologies et victoire dans les cerveaux des protagonistes."

Citant Dawkings, Tattersall, Gould, Hayek et Nietsche, la puissance qui exhale de ce texte, facile à comprendre, nous donne une autre vision du monde moderne. Qui se défend d'être pessimiste. C'est plutôt un exercice de ballistique nous dit Truong. Les conditions initiales étant ce qu'elles sont, l'auteur se contente de prédire la suite inéluctable, l'évolution de l'homme et de son enfant encore en gestation. Ainsi un sens nouveau prend forme pour l'humanité à faire naître et grandir sa créature, immense espérance totalement inhumaine. "Sous cette incidence, Homo Sapiens apparaît enfin sous son vrai jour comme l'espèce mère vouée à engendrer et élever le Successeur. Mais une mère serve, instrumentalisée, à qui est dénié le droit d'avorter l'étranger dont elle est grosse."

Claude Maveyraud

retour à la liste des critiques