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Commentaire
de Totalement inhumaine
par
Claude Maveyraud
L'intelligence,
prisonnière de sa gangue d'humanité automutilante
et suicidaire, n'a pas d'avenir à long terme
et survivra au mieux jusqu'à la mort du soleil.
En fait un sauvetage est déjà en cours
et s'élabore vers un hardware moins périssable
appelé Successeur. Les travaux les plus récents
montrent que la vie ne dépend que de l'organisation
de la matière et non du support de celle-ci.
C'est donc un processus multimédia par excellence.
Doté d'un corps très résistant
bardé de senseurs hypersophistiqués, d'un
taux de mutation des e-gènes que sont les éléments
de base des logiciels, d'un cycle de reproduction ultra-court
et d'une sélection future (par prédation
ou autre) pour ne garder que les meilleurs éléments,
le Successeur bénéficie d'un beau départ
dans la vie. De cet amalgame incohérent, la conscience
un jour émergera par simple interconnexion massive
de processeurs hyperrapides. "Il faudra le Net. Non
la lamentable serpillière qui porte aujourd'hui
ce nom, mais un réseau fluide comme l'air, rapide
comme la lumière, dense comme un feutrage." Ensuite,
n'en déplaise aux créationnistes ou aux
anthropocentristes déguisés, il suffira
de compter sur cet allié indispensable et inlassable
qu'est le temps, de laisser faire l'évolution,
bref, de durer.
Incroyable,
dérangeant, passionnant, le lecteur est littéralement
scotché sur son fauteuil sans pouvoir détacher
son regard de ce texte si percutant. D'un ton toujours
direct, incisif, Truong ne prend pas de pincettes pour
présenter sa théorie. S'appuyant sur des
données et des résultats scientifiques
récents et exhaustifs, il démontre magistralement
l'inexorable avancée et l'emprise du Successeur
sur nos vies et celles de nos dirigeants, les Imbus,
aveuglés et inconscients de leur propre aliénation
par les mirages hallucinatoires des mèmes tels
que "mondialisation", "nouvelle économie" ou
"productivité", eux-mêmes générés
par les e-gènes du Successeur. L'auteur dénonce
la spirale infernale qui, depuis la seconde guerre mondiale
en passant par la guerre des étoiles de Reagan
jusqu'à la folie dot-com de la fin des années
90, engloutit des milliards de dollars, absorbe chercheurs
et diplomés de tous poils et sacrifie les vies
humaines à tour de bras sur les autels du Successeur.
Le plus paradoxal étant la non-augmentation effective
de la productivité. Mais la foi absolue dans
son nécessaire concours et les bénéfices
futurs qu'il peut engendrer explique les sommes faramineuses
dilapidées, l'engagement délirant des
Imbus et la mobilisation mondiale des énergies
à son profit. "Ainsi dès sa naissance,
toutes les composantes de son triomphe futur étaient
en place : un contexte de compétition [...] des
e-gènes procurant [...] un avantage décisif
donc dans cette compétition ; [...] un ensemble
de mèmes associant technologies et victoire dans
les cerveaux des protagonistes."
Citant
Dawkings, Tattersall, Gould, Hayek et Nietsche, la puissance
qui exhale de ce texte, facile à comprendre,
nous donne une autre vision du monde moderne. Qui se
défend d'être pessimiste. C'est plutôt
un exercice de ballistique nous dit Truong. Les conditions
initiales étant ce qu'elles sont, l'auteur se
contente de prédire la suite inéluctable,
l'évolution de l'homme et de son enfant encore
en gestation. Ainsi un sens nouveau prend forme pour
l'humanité à faire naître et grandir
sa créature, immense espérance totalement
inhumaine. "Sous cette incidence, Homo Sapiens apparaît
enfin sous son vrai jour comme l'espèce mère
vouée à engendrer et élever le
Successeur. Mais une mère serve, instrumentalisée,
à qui est dénié le droit d'avorter
l'étranger dont elle est grosse."
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