Actualité de l'auteur
Interviews
et portraits
Dialogue
avec l'auteur
Facebook
|
|
A.I.
L'avis de Jean-Michel Truong
|
Brian
Aldiss, Stanley Kubrick et Steven Spielberg n'ont, on
s'en doute, rien inventé en abordant le thème
des Intelligences Artificielles. Grand classique de
la Science-Fiction depuis que l'homme se pose des questions
sur les capacités réflexives des machines,
l'Intelligence Artificielle est un des sujets de prédilection
de Jean-Michel Truong, un auteur français discret,
mais qui développe des théories tout à
fait pertinentes sur l'avenir d'un concept déjà
bien ancré dans notre présent. Nous lui
avons demandé son avis sur quelques-uns des thèmes
abordés par le nouveau film de "Stevley
Spielbrick".
Dans
A.I., les intelligences artificielles sont clairement
séparées des humains, ils portent même
un surnom (meccha) qui les distingue de nous. Pensez-vous
que l'évolution de l'I.A. se fera dans ce sens
ou que les humains et les I.A. seront de plus en plus
interconnectés ?
Le
destin à long terme de l'intelligence
est de devenir totalement indépendante de son
support actuel, l'homme. C'est le prix à payer
pour qu'une conscience subsiste dans l'Univers après
que la nôtre, piégée dans un véhicule
organique par trop vulnérable, aura disparu corps
et âme, si j'ose dire. Mais dans le court terme
au contraire, cette intelligence artificielle a besoin
de nous comme l'embryon a besoin de sa mère.
Avant d'atteindre sa pleine autonomie, elle dépend
de notre soutien et de nos soins, et c'est pourquoi
dans un premier temps nos destins respectifs
sont si étroitement imbriqués.
Dans
A.I. comme dans d'autres histoires traitant d'intelligence
artificielle, ces intelligences sont essentiellement
là pour palier à un manque chez l'homme
(ici, un manque affectif). N'est-ce pas dangereux pour
nous d'offrir ainsi aux I.A. le pouvoir de jouer sur
nos faiblesses ?
D'abord,
je dois préciser que je ne trouve rien de dangereux
à l'avènement de cette intelligence. Au
contraire, elle représente notre seule chance
de laisser quelque chose de nous-mêmes, de notre
espèce et de ses civilisations lorsque l'Univers
sera devenu inhospitalier aux formes de vie que nous
connaissons. Par conséquent, si ces créatures
excellent à manipuler nos manques, nos attentes
et nos désirs, tant mieux ! Car plus elles se
rendent utiles, plus elles accroissent leurs chances
de réussir.
Dans
l'imaginaire humain, l'I.A. prend souvent la forme d'un
robot très intelligent ou d'un ordinateur surpuissant.
Croyez-vous que dans l'avenir les I.A. auront cette
forme typiquement reconnaissable ?
Cette
tendance à prêter nos traits morphologiques
ou psychologiques aux machines intelligentes témoigne
simplement de la difficulté presque insurmontable
que nous avons à nous représenter une
intelligence totalement inhumaine. Nos robots,
automates et autres ordinateurs sont les déguisements
tout à fait provisoires que revêtent les
agents intelligents, le temps de nous séduire
et de nous apprivoiser. Il est clair que, parvenus à
maturité, c'est-à-dire lorsqu'ils n'auront
plus besoin de leurrer leur nourrice humaine, ils présenteront
une apparence très différente. Mais il
est impossible aujourd'hui de dire à quoi ils
ressembleront : nous ne pouvons pas plus deviner comment
évolueront ces embryons que nous n'aurions pu,
voici trois milliards et demi d'années, prédire
l'évolution des premiers organismes unicellulaires.
Certains d'entre eux pourtant sont nos ancêtres.
Risquons tout de même un pari : loin de se concentrer
dans des containers aux contours délimitables
et localisables comme les corps animaux et végétaux,
cette intelligence se distribuera et s'étendra
dans les connexions d'un réseau de dimension
cosmique.
Lorsque
l'on parle d'I.A. le grand public visualise immédiatement
des circuits imprimés, de l'électricité,
des connexions. Certains pensent que nous sommes pourtant
à l'orée d'une nouvelle ère, celle
des ordinateurs basés sur des cellules vivantes,
pouvez-vous nous en dire plus sur ce concept ?
Les
recherches auxquelles vous faites allusion cherchent
à remplacer le silicium par des macromolécules
organiques comme support de l'information. De nombreuses
voies sont explorées dans cette direction : les
unes, reprenant une idée émise pour la
première fois en 1961 par les prix Nobel français
Jacob et Monod, espèrent mettre au point des
équivalents biochimiques des transistors ainsi
que des outils à base d'enzymes pour assembler
de véritables circuits intégrés
biologiques; d'autres tentent d'exploiter les capacités
spontanées de reconnaissance de formes ("pattern
matching") de l'ADN; les plus audacieuses ambitionnent
de construire des ordinateurs à partir de colonies
d'organismes unicellulaires comme Escherichia coli.
"Construire" n'est d'ailleurs pas le verbe
approprié pour décrire cette activité
: il vaudrait mieux parler de culture ou même
d'élevage de véritables ordinateurs
bactériens. Sans mésestimer l'intérêt
de des travaux, ni mettre en doute leur faisabilité,
je considère pour ma part qu'ils sont inopportuns
: remplacer de l'organique humain par de l'organique
bactérien ne résout en rien le problème
de l'intelligence, qui est de se trouver un véhicule
de survie capable de traverser l'espace-temps. Pour
la même raison, le clonage et l'ingénierie
génétique ne sont pas des solutions pertinentes
au problème de la survie de l'intelligence.
Comme
souvent chez Spielberg, le final de A.I. est
plutôt positif. Je crois que vous ne partagez
pas cette vision idyllique de nos relations avec les
I.A.
J'ai
dit plus haut ce que je pensais du principe de
ce "passage de témoin" de l'homme à
l'entité destinée à lui succéder
comme habitacle de la conscience : du point de vue de
la survie de ce que nous avons de plus cher - notre
civilisation, à défaut de nos gènes,
condamnés par leur constitution même -,
l'avènement d'un Successeur est en fait
une immense espérance. Malheureusement, dans
les faits, il se traduira pour nous par des souffrances
de plus en plus grandes, dans la mesure où le
Successeur pour se développer extorquera toujours
plus de ressources à son tuteur et nourricier
humain. L'espèce humaine est ainsi en passe de
devenir, comme le prophétisait la philosophe
Simone Weil, "la chose de choses inertes",
vouée à servir de combustible à
son Successeur.
Nous
sommes techno-dépendants, cela ne fait aucun
doute. Mais avons-nous des moyens, ou des chances de
"faire marche arrière" ou de gérer
notre avenir sans l'aide des I.A. ?
On
l'a vu, les I.A. ont su se rendre indispensables. D'ores
et déjà, elles font parties intégrantes
de nos corps, au même titre que nos organes les
plus vitaux, et nous n'avons pas plus le loisir de nous
défaire d'elles que nous n'avons celui de priver
d'air nos poumons.
© Science-Fiction
Magazine, n° 18, septembre 2001
retour
à la page Critiques Médias
retour
à la page Interviews
|
|
|