Totalement inhumaine
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Convaincre un monde incrédule
que le cauchemar a déjà commencé

par Jeam Tag

On a envie de contourner la formule si galvaudée, en disant que l'essai de Jean-Michel Truong se lit (presque) "Comme un roman... de Science-Fiction". Comme tel, "Totalement Inhumaine" dans son exposition, nous invite bien vite  à la "suspension de l'incrédulité" propre au genre. Partant d'un rapide constat des réussites et des errances de l'humanité, sa vacuité à l'échelle de l'univers, et de ce que la sapience née du carbone ne saurait être "efficace" pour l'éternité, l'auteur s'interroge sur une conscience qui, mieux que nous succéder (trop facile) sera a même de surpasser les anecdotes de la création, telle la mort des soleils, si pas la fin de l'univers soi-même. Le projet est grandiose!

Et ne manque pas d'ironie: les pauvres petits singes humains que nous sommes président à la gestation d'icelle:  nous, handicapés de la Vie s'étant reposés  de plus en plus sur l'invention d' auxiliaires, outils, béquilles de notre intelligence, nous avons bien sûr fini par créer ce loup dans notre bergerie qui nous ravalera a l'anecdote que nous sommes. C'est ainsi, sommes toute, notre seule utilité dans le grand dessein cosmique.

[Je n'ai pas lu "Le Successeur de Pierre" , mais d'après ce que je pouvais en savoir, la lecture de l' essai  semblait bien être la formulation argumentée des réflexions ayant présidées à la rédaction de ce roman, poursuivies pendant et complétées ensuite... Ce que des réponses de JMT confirment.]

Nos bricolages pour pallier nos carences, perfectionner des prolongements de plus en plus performants, amenés à une autonomie certaine  pour plus d'efficacité, dépassant nos espérance,  ont donné corps à une potentialité d'existence  qui , à terme, s'affranchira de tout support matériel. Le dieu virtuel! Oui: pire que la vision naïve de l'ordinateur  maître du monde! Les "inventions" piètres d'abord,  puis un peu plus "efficaces" d'interconnexions, fornications, consensus divers et variés avec des un et des zéro  engendrent bientôt  des p'tits sacs de bits bien propres sur eux, indépendamment idiots mais redoutables en congruence, concourent  à l'émergence d'une nouvelle spécification, un trépassement radical de l 'évolution telle que nous l'avions presque comprise - et que nous apprenons encore si laborieusement, jour après jour.  Sauf que: Le "Successeur" est là, dans ces bribes d'informations éparses, souvent inutiles, mais petit à petit liées en réseaux par notre laborieuse construction d'un tissu informationnel que l'on ne pensait que mécanique, qui voient se multiplier, s'organiser  des "e-gènes", résidus spermatiques du fantasme de la création divine,  finalement conçus "malgré nous",  qui agencent une "autre vie".

Dans cette longue ouverture, comme dans moult "roman" de sf, Jean-Michel Truong, d'un ton patelin, enlevé,  se défait  -même  et surtout  dans les notes en bas de pages-  de toute autre hypothèse de l'Histoire a venir..  Certes par "manque de place", par  divergence possible d'avec le sujet principal, mais quand même: Sur terre, la taxonomie:    évacuée ironiquement la possibilité d'un nouveau phylum... Bien que nous ayons encore tant de découvertes, compréhensions à faire sur les  interrègnes minéral/végétal/animal où dans ces interstices encore mal connus il y a sans doute bien des hypothèses de survies/transformations/évolutions a méditer pour un "Successeur", non?... Ailleurs, le reste de l'univers:    négligé ce qui a pu /aurait pu/pourrait exister/se produire, et forcément, à l'échelle de l'envolée du "Successeur", le contrarier quelque peu... Celui-ci enterrera l'univers, n'oublions pas!  Ici et ailleurs:  dénié à  l'humanité l'espoir de "sortir de son berceau" comme le disait Tsiolkowski, et donc de se confronter peut être à d'autres consciences, d'évoluer différemment, se transformer (et sur une longue, longue temporalité, quoi de plus naturel que puissent advenir des filiations humaines différenciées?) comme elle l'a déjà fait par le passé en fonction de circonstances simplement planétaires...

Ces broutilles, parmi d'autres, abandonnées, la mise au net  (!) du "mème", de l'idée, du  "Successeur " donne l'occasion d'une passionnante aventure, des premiers vagissements à l'état des lieux actuel. Quelques péripéties, des hauts et "débats", vite réglés à l'encontre d'autres ponctions des finances et des énergies à fonds perdus (comme pour du bête matériel inerte lors de la guerre froide, par exemple. Des bombinettes partout, ce sont des ressources détournées de la "Voie Royale", il faudrait plutôt les investir dans la "com(munication) " puisque de toute manière les "com" permettront d'encore mieux gérer des bombinettes encore plus évoluées!) Des lors, en tout domaine de notre civilisation, les budgets sont alloués, fondent, augmentent, se perdent, au nom de la Sacro-sainte Mondialisation et du Foutu Libéralisme, caché ou ultra, pour l'augmentation du maillage de l'outil cybernétique, augmentant  de manière exponentielle les capacités d'interactions/rétroactions des "e-gènes" et par là même confortant notre "Ami" dont le "mème" protéiforme est si prégnant qu'il n'a guère a dépenser d'huile de coude (a oui, c'est vrai, le "Successeur" n'a pas de coude) en lobbying. On suit l'implacable "success story" du Successeur, ce coucou de l'espèce humaine... Dans cette longue partie, J-M Truong revisite notre actualité ( fin/début de siècle) libérale, par la Netéconomie-nouvelle économie, etc. etc... à l'aune des ingérences  du "Successeur". ( grâce à nos inconsciences, son à-peine conscience de nouveau-né agis, s'empiffre, se rengorge à coup de nos milliards perdus dans des spéculations sur les vents du virtuel: qu'importent les leçons pourvu qu'on aie les prouesses! )

Poursuivant dans la démonstration univoque, J.M. Truong revient quand même à l'humain lorsqu'il faut bien trier dans ce (à peine) beau monde les torchons et les serviettes. Eh oui: qu' adviendra-t-il de nous lorsque notre ami le Successeur commencera son émancipation? Las! Un futur basé sur l'extrapolation de la seule situation actuelle, pardon: de l'histoire ici racontée... Comme dans tout récit n'ayant pas des milliers  de pages où se délayer, il faut sérier les priorités: nous en arrivons donc aux futurs rapports entre nous et l'Autre. C'est là une revisitation des Eloïs et des Morlocks du H.G. Wells de "la machine à voyager dans le temps".  Avec les "Imbus", rares comme les quelques-uns d'aujourd'hui qui s'accaparent, profitent, manipulent en  croyant contrôler un processus bien sûr régis en sous-main par le "Successeur";  le "Cheptel" ,comme son nom l'indique sans ambiguïté est le reste, la grande majorité, mais celle qui a son utilité, le combustible corvéable de ce nouveau Baal Moloch.  Et  puis, dérisoirement, les "Epsilon", incontrôlables/inquantifiables, négligeables puisque inutiles,  manière d'exclure des (r)évolutions, réactions,  possibles dans ce beau scénario... Le "Successeur" est Impitoyable quand il nécessite nos participations involontaires, Indifférent dès lors qu'il a/aura assez de matière pour se survivre, et basta pour la suite: nous ne saurions le gêner, puisque nous ne serons plus là, alors...  Bref, dans cette  étude, forcement sélective  faute de place, voilà une intéressante vision de l'émergence d'une intelligence Autre, même si  la convocation d'un  "Successeur" aussi omnipotent, sans rémission possible, a parfois l'allure d'un évangile, martelé au fil de versets incontestables : le "Successeur" est là, désormais pour les siècles des siècles, et y'a pas à barguigner. Quoi  que puisse être le destin,  fut-il funeste, de l'humanité, les échéances à long terme  (long  en comparaison des petites évolutions accomplies depuis l'apparition de la "vie" sur notre boule de cailloux agglomérés)... que la suite proche de notre engeance humaine soit benoîtement calquée/outrée sur l'aujourd'hui  socio-politico-économique laisse pantois, dans le cadre d'extrapolations si lointaines!

Certes, les futures envolées, lyriques, physiques ou ésotériques du "Successeur" sont inconnaissable, par nature. Jean-Michel  Truong , tout au long de sa Profession de Foi , a récité son Mantra,  mais il sait fort bien achever l'écheveau en bénissant, enfin, l'inhumaine destinée du "Successeur". Lorsque celui-ci aura les moyens de nous snober,  au loin de nos frustres contingences physiques, il ne s'en privera guère (et pourquoi le ferait-il, d'ailleurs) Cette ex-béquille, désormais plus raisonnante qu'industrieuse vivra sa belle et longue vie sans plus se soucier de pauvres imbéciles qui en sont encore, pour l'heure,  à se masturber sur des contingences théologiques, politiques, humanistes, misérabilistes, d'un autre âge; qui accompagnent sans états d'âmes les gesticulations juvéniles du "Successeur" à l'insu de leur plein gré, dans les débours d'une  "Mondialisation" "Libérale" appelée à perdurer.  Que ne aurons-nous inventer comme conneries, manipulés par cet étrange Bébé de l'espèce qui nous survivra, pour subvenir à ses Incompréhensibles Besoins! Bref: le Successeur" à  déjà gagné la partie, l'humanité peut aller se faire foutre.

Une belle histoire, vraiment, une histoire qui réussit l'exploit de ne pas se terminer tout en finissant mal! Comprend qui peut, je ne suis qu'un pauvre petit singe humain, moi!

© Mauvais Genres  30-déc.-2002

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