Olivier
Noël.
Bonjour Jean-Michel. Je tiens à vous remercier
pour votre essai, qui, sil sattire nombre
dobjections, a le mérite immense de faire
" penser " le lecteur, et qui contribue ainsi à
cet état de méditation (de béatitude
?) que vous recommandez face aux turpitudes de la vie
humaine, et qui semble si sage !! Je vous prie de me pardonner
pour les interminables questions qui suivent
Peter Sloterdijk, dans Règles pour le parc humain
(Mille et une nuits ; 262) écrit ceci : " En
utilisant les images puisées dans le répertoire
thématique de la pastorale et de lidylle,
Heidegger évoque la mission de lêtre
humain, qui est lessence de lhomme : garder
lÊtre et correspondre à lÊtre.
"
Navez-vous pas fait de même avec Totalement
inhumaine, cest-à-dire malgré
vous peut-être - conférer une mission à
lhumanité, qui serait similaire : lhomme
comme berger de lÊtre (lisez : berger de lidée
dune autre conscience), en attendant la relève,
le Successeur ?
JMT.
J'ai suffisamment insisté dans Totalement inhumaine
sur la manière dont des choses nous adviennent
"à l'insu de notre plein gré" pour savoir
que je n'échappe pas à la règle commune
et que, "malgré moi peut-être", je peux avoir
donné l'impression de "conférer une mission
à l'humanité" alors que je croyais, en toute
bonne foi, avoir simplement décrit, à la
manière d'un entomologiste, ce qui lui arrivait
avec le Successeur. Que dire de plus pour ma défense
que ce que j'ai déjà répondu à
ce sujet à Jean-Marc Laherrère ?
Olivier
Noël. Pourquoi
faire porter à lhumanité ce terrible
fardeau, la perpétuation dune conscience,
au nom dun idéal que vous avouez "esthétique"
? Lidée est magnifique, mais en nous désignant
de la sorte, vous semblez vous faire prophète (ou
"Zeus Pancreator" !)
Lontologie se mue alors
en téléologie, voire en eschatologie
JMT.
Je ne fais rien porter à l'humanité. Il
se trouve que, jusqu'à preuve du contraire,
elle seule dans l'univers possède une intelligence
assez développée pour, volens nolens,
donner naissance au Successeur. Lorsqu'en réponse
à une question d'Anne Pambrun je dis que, pour
des raison esthétiques, je préfère
qu'il y ait dans l'univers une présence plutôt
que rien, je n'exprime aucun "idéal", je ne fais
qu'exprimer un goût personnel que je ne demande
à personne de partager.
Olivier
Noël. Peter Sloterdijk, toujours, cette
fois dans La Domestication de lÊtre
(Mille et une nuits ; 296) dénonce : "[
]
on na que trop tendance à penser lévolution
comme une sorte de divinité qui aurait produit
ses résultats selon un plan général
à long terme établi antérieurement
dune certaine manière, par la ruse
de la raison produisant la mutation et la sélection."
JMT.
Ce passage de Sloterdijk illustre bien le problème
auquel sont constamment confrontés les auteurs
y compris, comme dans son cas, les plus prestigieux
lorsqu'ils se risquent à explorer les frontières
de l'humain, et les ruses auxquelles ils sont contraints
de recourir pour parvenir à leurs fins : pour éviter
le procès en hérésie toujours pendant
comme en témoignent, pardonnez-moi cher
Olivier, vos propres soupçons ils se croient
tenus de donner des gages de leur orthodoxie, en exagérant
s'il le faut les points de vue dont ils entendent se distancer.
Car qui diable peut bien être ce "on" qui
n'aurait, à en croire Sloterdijk, "que trop
tendance à penser lévolution comme
une sorte de divinité qui aurait produit ses résultats
selon un plan général à long terme
établi antérieurement
" ? Quel
scientifique a jamais, aux heures les plus sombres
du darwinisme idéologique, et dans les accès
les plus violents du delirium tremens, professé
ne fût-ce que l'ombre de pareille ineptie ? L'homme
de la rue, peut-être
et encore : même
l'homme de la rue a été à l'école
! En réalité, Sloterdijk sait parfaitement
que ce "on" n'existe pas pas plus d'ailleurs que
l'opinion qu'il lui prête mais il sait aussi
que sans cette concession destinée à apaiser
les inquisiteurs de tous poils qui le guettent au tournant,
il ne pourra pas avancer les thèses auxquelles
il tient. En termes de vénerie, cela s'appelle
donner le change : lancer les chiens sur une fausse
voie pour sauver sa propre tranquillité.
Olivier
Noël. De manière plus générale,
est-ce que le vocabulaire et les métaphores
et métonymies employé, appartenant
à lhumain (filiation, ruses, etc
) ou
au religieux (cela a déjà été
évoqué) ne nuit pas à votre propos
? Pourquoi navoir pas utilisé des termes
plus "neutres" (je propose, dans mon article, le
terme de "déhiscence"), plus proches de "linhumain"
? Et pourquoi, connaissant ce danger rhétorique,
avoir choisi délibérément de présenter
lapparition du Successeur comme le projet
que vous dites pourtant indépendant de toute volonté
fomenté par des "mèmes", et ainsi
provoquer maint contresens ?
JMT.
Je me suis longuement expliqué sur ces points
avec Anne Pambrun.
Il n'existe aucune manière de parler du
Successeur pas plus que de n'importe quel être
vivant sans risquer un procès en téléologie.
Ce qui a de tous temps conduit les biologistes
de Darwin à Maynard Smith en passant par Mayr,
Jacob et Dawkins à multiplier précautions
de langage, avertissements et palinodies, en pure perte
d'ailleurs, puisqu'il se trouve toujours quelqu'un
pour en soupçonner la sincérité.
Quant à "déhiscence", je ne me suis même
pas posé la question. "Déhiscence" ? Pas
de ça chez moi, jeune homme ! Il y a des endroits
pour ça ! Mais je vous promets d'y repenser le
jour où je me déciderai à entreprendre
le premier traité de biologie des artefacts. Mais
ce sera pour un autre public, car je ne suis pas sûr
que celui de Totalement inhumaine appréciera.
Olivier
Noël. Comment
vous situez-vous par rapport à lhomme, votre
espèce ? Êtes-vous un "anti-humaniste" ?
Un "immoraliste" ? Un "hypermoraliste" ? Autrement dit,
quest-ce qui, dans votre essai, pourrait influencer
nos actes ? On en revient au débat autour de Platon
et de son (prétendu) mépris du monde physique
(la primauté de lidée sur le sensible)
Nest-ce
pas là une négation de lhomme en tant
quêtre en devenir ?
JMT.
Qu'il soit bien clair une fois pour toutes que Totalement
inhumaine n'appelle à aucun passage à
l'acte. Bien au contraire, il invite à
la retenue, en faveur d'une réflexion sur
l'humain qui tienne enfin compte des deux découvertes
majeures du 20ème siècle, savoir
l'irrésiliable alliance, en dépit de toutes
les pédagogies des humanistes, de l'intelligence
humaine et du mal, et d'autre part, son divorce non moins
irrévocable par les bons offices du génie
génétique et de l'intelligence artificielle
d'avec le corps humain. Est-ce être "anti-humaniste",
" immoraliste " ou " hypermoraliste " ? Peu me chaut.
Je laisse à ceux que cela amuse le soin d'en décider.
Olivier
Noël. La thèse exposée
le Successeur plutôt que rien et plutôt que
lhomme nest-elle pas finalement votre
réponse personnelle au nihilisme contemporain ?
La mort de Dieu proclamée par Nietzsche a entraîné
comme prévu une perte de repères. Or, avec
le Successeur, vous redonnez à lhumanité
et à vous-même une raison dêtre.
Mais vous excluez lhomme de son avenir : "lamour
du plus lointain" de Nietzsche ne suppose-t-il pas que
ce lointain concerne en premier chef lhumanité
elle-même ?
JMT.
Ce n'est pas moi qui exclue l'homme de son avenir,
c'est, pardonnez-moi de me répéter, le second
principe de la thermodynamique. L'homme n'a aucun avenir
dans un milieu dépourvu des matières premières
dont il est fait, point. Dans le lointain, il faut s'en
faire une raison, il n'y a pas de place pour lui.
Ce qui m'amène à rectifier votre reformulation
de ma thèse : "le Successeur plutôt que
rien
", oui, "
et plutôt que lhomme",
non, car cette tournure implique que quelqu'un
sous-entendu l'auteur choisit le Successeur contre
l'homme. Comme son nom l'indique, le Successeur vient
après l'homme, non comme une alternative
il n'y a aucun choix, l'homme n'est plus
, mais comme
celui qui, tout simplement, se trouve
encore là quand l'autre a disparu.
Quant à la "raison d'être" que nous redonnerait
le Successeur, j'ai dit à quel point elle était
illusoire.
Olivier
Noël. Comme
vous le rappelez en réponse à D. Coulon,
la "conscience" nest pas lapanage de lhomme
: cest "de la matière inerte en attente de
configuration". Soit. Mais vous semblez amalgamer "conscience"
et "intelligence". La découverte du "monde" (ce
que Peter Sloterdijk oppose à "lenvironnement")
par lanimal et celle de sa propre finitude nest-elle
pas la définition même de la conscience ?
Tout animal est plus ou moins intelligent, mais jusquà
preuve du contraire, aucun nest (à notre
connaissance) doué de "conscience" dans cette acception.
Un Successeur "intelligent" mais non "conscient" - comme
une communauté de fourmis par exemple vaut-il
vraiment la peine que lon se sacrifie ? Ou simplement
que lon rêve de son avènement ?
JMT.
Si j'use souvent de "conscience" et d'"intelligence"
comme de synonymes, c'est qu'en effet, selon ma vision,
elles sont une seule et même chose : toutes deux
sont des propriétés de la matière
qui émergent à des stades différents
d'organisation de cette dernière, la conscience
d'abord, l'intelligence ensuite. On pourrait ainsi parler
successivement de matière en phase inerte,
en phase consciente et en phase intelligente,
comme on parle d'eau en phase gazeuse, liquide ou solide.
On sait depuis Piaget que la conscience est la condition
de possibilité de l'intelligence. C'est, au stade
le plus primitif, la conscience de ce qui n'est pas
soi, dont on trouve un précurseur dans les
systèmes immunitaires des plantes et des animaux.
Puis la conscience évolue, par paliers, jusqu'à
devenir la conscience réflexive et ce qu'il
est convenu d'appeler l'intelligence. On sait, par les
travaux d'Edelman (voir la bibliographie de Totalement
inhumaine) que le support physique de cette conscience
réside dans les faisceaux neuronaux réentrants,
qui lient entre elles les différentes structures
du cerveau et permettent leur synchronisation. Tout ceci
est donc parfaitement compatible avec des consciences
animales, et aussi, contrairement à ce que
vous pensez, avec une conscience du Successeur, dont les
réseaux sont, par construction, réentrants.
Olivier
Noël. Considérons le Successeur
comme "conscient" cette fois. Cette question nécessite
un "léger" développement. Votre postulat
de départ est que lhomme, depuis Auschwitz
et Hiroshima, est définitivement condamné
à détruire : il est donc un mauvais support.
Vous proposez alors autre chose, un nouveau paradigme
sur lequel reporter nos espoirs de paix et de vérité
(vous dites que vous ne faites que le décrire,
tandis que votre texte sacharne à lui donner
un sens). Mais, on est en droit de se demander en premier
lieu pourquoi lhomme est si peu capable de concorde
et de conscience écologique. En dautres termes,
il serait bon détudier la "généalogie
du mal". Or tout laisse penser que les racines du mal
remontent à "lacquisition" de la conscience,
que le libre arbitre, base de cette conscience, a engendré
immédiatement la faculté à faire
autre chose que ce qui est bon pour lespèce,
pour lindividu ou autre chose. Avec la conscience,
lhomme ne sest pas seulement découvert
un "monde" mais il sest découvert le moyen
dagir sur ce monde, ou de le détruire. Il
convient de préciser que ce que je nomme la "décadence"
naît plus du conflit survenu entre la conscience
et le déterminé (instincts, génétique,
etc.), dont Platon avait eu lintuition et que Freud
développa dune autre manière (conscient/inconscient).
On peut donc penser que lhomme sest condamné
dès quil a existé, et quAuschwitz
nest que le sommet provisoire dune décadence
intrinsèque à la conscience : Nietzsche
a appelé cela "léternel retour" et
la "volonté de puissance". Cette thèse est
lourde de conséquences. Si le concept même
de conscience indépendamment de son support
contient en lui la "décadence", la faculté
de détruire, de faire le "mal" ("lhomme,
malade de lui-même" dans Généalogie
de la morale), cela implique que votre Successeur
est alors condamné à reproduire nos erreurs
ou à en commettre dautres, peut-être
pires ! Car de même que notre conscience est en
conflit perpétuel avec nos déterminismes,
votre Successeur devra lutter contre les siens propres
des "e-gènes", tiens tiens
Quest-ce qui vous fait penser que le Successeur,
qui natteindra cet état de "conscience" quà
condition dabandonner le strict déterminisme
et donc dacquérir le libre arbitre, sera
à labri de cette décadence ? Nétait-ce
pas là un sujet majeur de Reproduction interdite
(le retour du pire) ?
JMT.
Votre raisonnement ne tient pas car vous partez du
mauvais postulat, selon lequel "lhomme, depuis
Auschwitz et Hiroshima, [serait] définitivement
condamné à détruire". Je répète
: ce qui "condamne" l'homme, ce n'est pas Auschwitz et
Hiroshima, c'est le second principe de la thermodynamique.
Nos crimes appellent certes une condamnation morale, mais
n'obèrent en rien nos chances de survie. On pourrait
même dire qu'au contraire, notre capacité
à tuer est une condition de possibilité
de notre réussite. C'est en raison de son seul
caractère biodégradable que l'homme est
un mauvais véhicule pour la conscience.
Quant à entreprendre comme vous le suggérez
une "généalogie du mal", ce serait en effet
une entreprise éminemment salutaire. A condition
de la faire jusqu'au bout, et de ne pas s'arrêter
en chemin là où cela nous arrange. Car s'il
fallait désigner une origine au mal, il faudrait
au minimum remonter à l'apparition des structures
limbiques responsables de nos pulsions vitales
de base c'est-à-dire au cerveau des premiers
reptiles, toujours enchâssé, telle une relique
qui n'aurait rien perdu de ses pouvoirs primitifs, au
plus profond de nos cerveaux d'hommes civilisés.
Le meurtre était là en puissance bien avant
la conscience.
Ce n'est donc pas la conscience de l'homme qu'il faut
incriminer, mais son corps. Ce corps dont, précisément,
le Successeur se défait peu à peu sous nos
yeux, comme le serpent de sa mue.
Cela n'empêchera certes pas le Successeur de connaître
des conflits avec lui-même, et c'est même
là, comme je l'ai écris dans Totalement
inhumaine (p.71) une des conditions de sa survie.
Olivier
Noël. Vous décrivez la généalogie
du Successeur comme celle dun "artefact sans artiste".
Comme lapparition de lhomme en somme. En fait
vous séparez le Successeur de lhomme, mais
dans le même temps vous démontrez que sa
formation ressemble fortement à celle du marché
et a fortiori du cerveau humain (une "configuration"
similaire). Finalement, et considérant mes questions
précédentes, ne trouvez-vous pas cette intelligence
un peu "trop humaine" ?
JMT.
C'est tout le contraire. Ce qu'a, le premier, montré
Frédéric Hayek et qu'ont prouvé
après lui les pionniers du connexionisme en construisant
des réseaux de neurones artificiels c'est
qu'un ordre est susceptible d'émerger de manière
spontanée de l'interaction d'un grand nombre d'agents
inintelligents et sous-informés, tels les acheteurs
et vendeurs sur un marché, ou les neurones d'un
cerveau. J'ai consacré à cette question
tout le chapitre 9 de Totalement inhumaine. Depuis
cette découverte et les confirmations que n'ont
cessé de lui apporter les neurosciences, nous sommes
bien forcés de reconnaître que ce que nous
chérissions le plus l'art, la science, la
littérature, la musique, bref, les plus hautes
manifestations de l'esprit humain émane
en réalité du jeu chaotique d'une coalition
de processeurs parfaitement idiots. Ce que nous tenions
pour le plus humain était en réalité
d'essence totalement inhumaine.
Jean-Pierre
Planque. J'avoue ma totale incompétence
en matière d'intelligence artificielle... Le monde
décrit par Jean-Michel Truong est tout simplement
effrayant. Son analyse n'en est pas moins brillante et
conforte un grand nombre d'articles parus dans Le Monde
diplomatique concernant les dangers de ce que l'on a baptisé
"La mondialisation" ou "l'ultra-libéralisme". Dans
le domaine de la Science-Fiction, nous avions lu la série
F.A.U.S.T de Serge Lehman (qui avouait avoir lu les écrits
de Viviane Forester après coup), mais force est
de reconnaître que Jean-Michel Truong va beaucoup
plus loin. Il sait de quoi il parle. Son analyse (sa démonstration)
laisse peu de place à la critique. C'est scientifique,
c'est froid, c'est lointain (comme une certaine SF) et
la conclusion résonne comme une fatalité
: le piège du raisonnement claque comme une belle
machinerie. Les androïdes rêvent-ils de moutons
électriques ?
L'âme ? La possibilité pour l'individu de
développer sa conscience ? Il faudrait peut-être
prendre en compte cette éventualité car
il arrive que la science rencontre la spiritualité...
C'est vrai qu'il n'est même plus question de science,
mais de technologie, de rouleau compresseur qui avance
inexorablement. L'intelligence n'est pas la conscience.
Un autre monde est possible et j'encourage le citoyen
moyen qui pourrait se sentir totalement dépassé
à lire Sri Aurobindo ou Satprem ("Le Mental des
cellules", "La Genèse du surhomme", "Sri Aurobindo
ou l'aventure de la conscience").
Ils ont parlé de "L'Homme après l'homme"
(voir le film) bien avant que les computers envahissent
la planète, avant la mondialisation et la nouvelle
économie. Eux aussi ont parlé de l'espèce
"supramentale" qui n'aurait plus rien à voir avec
l'homme actuel. Simplement, selon Sri Aurobindo, l'évolution
ça se passe dans le corps, dans les cellules, pas
dans le mental. Le travail essentiel commencé à
Auroville a-t-il échoué ? Devons-nous nous
résigner à subir le règne du complet-cravate
?
Être Soi, vivre ici et maintenant. Au niveau individuel,
c'est possible, mais c'est vrai qu'il faut avoir le courage
de se regarder en face et de "désapprendre".
Sylvain
Fontaine.
Je trouve que le monde des sciences " dures " prend une
drôle de pente, de nos jours. Dabord on voit
constamment des représentants de ces sciences,
mathématiques ou biologie, par exemple, pérorer
en toute incompétence sur les domaines traditionnellement
dévolus aux sciences humaines. Par exemple Dawkins,
qui fort de sa compétence en biologie se met à
extrapoler sur le psychisme et la société,
avec sa théorie des mèmes. Ou tel chercheur
en écologie qui commence à appliquer ses
modèles danalyse des populations de bactéries
aux organisations humaines...Généralement,
on voit le darwinisme social se profiler à la lisière
de ces fumisteries...
Parallèlement cette sphère techno-scientifique
me semble prise dune sorte dhystérie,
ne concevant plus de limites sérieuses à
son pouvoir : sur le site KurzweilAI.net, par exemple,
on se demande sérieusement ce que ça fera
dêtre immortel, ou sil est possible
de télécharger un esprit humain !
Il me semble donc quà côté de
la recherche aveugle du profit si souvent dénoncée,
on pourrait mettre une sorte de brutalité scientiste
au rang des phénomènes contemporains destructeurs
de civilisation.
Vous qui fréquentez cette sphère, quen
pensez-vous ?
JMT.
Les errements tout à fait réels que vous
signalez sont regrettables mais inévitables et
même nécessaires. Car comment rendre compte
de l'humain dans sa totalité de l'humain
comme totalité sans faire sauter
les cloisonnements traditionnels des disciplines ? Un
spécialiste du cerveau se doit aujourd'hui d'être
versé en linguistique, un psychiatre en sociologie,
un informaticien en génétique
Cela
ne va pas sans risques, pour le chercheur s'aventurant
hors de sa paroisse qui s'expose à la réprobation
de ses pairs et à la défiance du public
comme pour les disciplines concernées
qui semblent, au début du moins, se corrompre.
Dawkins est de ces "métis" transdisciplinaires.
Il peut parfois irriter, mais ses idées ont déjà
suscité tout un courant de travaux dans les sciences
humaines, et renouvelé les approches de politologues,
de sociologues, de linguistes dans l'étude de la
formation et de la manipulation des opinions et des rumeurs,
et plus généralement dans celles des phénomènes
culturels. Pour vous en faire une idée, voyez le
site du Journal of Memetics :
www.cpm.mmu.ac.uk/jom-emit/overview.html
Claude
Mesplède. Jean-Michel Truong écrit
: "Il n'y a pas plus à se "positionner"
pour ou contre le Successeur et ses effets sur nos modes
d'organisation que pour ou contre la gravitation universelle.
Mon but dans Totalement inhumaine n'est pas de dénoncer,
mais de comprendre en l'espèce comment les
e-gènes coopèrent avec le Mème de
la mondialisation pour faire de nous leur chose. Il ne
sert à rien de lutter contre ou de militer
pour quelque chose qu'on ne comprend pas. On ne
s'expose ainsi qu'à aggraver les choses. Le premier
réflexe d'un militant, de quelque cause que ce
soit, devrait être non de descendre dans la rue,
mais de s'enfermer dans sa bibliothèque et de méditer."
Sur le plan du raisonnement formel, cette opinion qui
relève apparemment de la sagesse, revient pourtant
comme tant d'autres professées depuis des lustres
à nous confiner dans l'inaction et la passivité
sous couvert d'une réflexion en chambre. Allez
donc expliquer à un licencié de chez Lu,
AOM ou encore Mark et Spencer qu'il doit rester enfermé
chez lui à méditer sur je ne sais trop quel
fumeux avenir en attendant de retrouver un emploi et de
survivre avec sa famille. Il me semble que la réflexion
n'est utile que si elle peut servir à promouvoir
l'action pour tenter de modifier le monde, le rendre chaque
jour plus humain, plus solidaire. M. Truong, dans une
de ses réponses, indique qu'il sait que son livre
mettra en colère les humanistes. Il a parfaitement
réussi avec moi.
Outre ces propos, je tiens à ajouter que ce qui
me gêne aussi dans ce débat sur la nature
humaine et son devenir, sont les commentaires laudatifs
qui semblent presque tous abonder dans le sens de l'auteur.
Je décèle pourtant dans cet essai un certain
mépris de l'être humain et ce n'est pas en
disant qu'on peut trouver divers exemples sur le comportement
négatif des hommes qu'on peut le justifier. C'est
un peu trop facile à mon goût.
JMT.
N'étant pas et je suis tout disposé
à réparer cet oubli parmi les destinataires
de la pré-édition, comment avez-vous pu
déceler "un certain mépris de l'être
humain" dans ce livre que vous n'avez pas lu ?
Et si vous ne l'avez pas lu, comment pouvez-vous savoir
si "les commentaires laudatifs" de ceux de vos collègues
qui l'ont fait, sont appropriés ou non ?
Mais laissons là ces arguments qui fleurent, j'en
conviens, la polémique facile. "On" vous aura dit
ce qu'il fallait penser de ce livre, et comme vous n'aviez
aucune raison de suspecter celui ou celle qui vous disait
cela, vous l'avez répété en toute
bonne foi, ainsi vont les rumeurs depuis que le monde
est monde et que l'homme a renoncé à user
de son propre jugement. Fair enough.
En revanche, je ne peux pas ne pas réagir à
vos deux dernières phrases. Auschwitz et Hiroshima,
des comportements négatifs ? Le Goulag,
le Laogai, l'agent orange au Vietnam, les massacres du
Rwanda, les charniers de Bosnie, la famine organisée
des enfants irakiens
rien de plus, à vous
entendre, que "divers exemples" de comportements négatifs
? Il me semble déceler dans vos euphémismes
comme un écho de la grande clameur révisionniste,
l'appel universel à l'amnistie, qui voudrait en
Allemagne qu'on tire un trait sur l'Holocauste
ce détail de l'Histoire , en France
sur la torture en Algérie, au Japon sur le massacre
de Nankin et les expérimentations humaines de Mandchourie
déjà requalifiés en incidents
dans les livres d'histoire nippons , aux États-Unis
sur le Vietnam, le Chili et le Guatemala, en Chine sur
Tiananmen, à droite sur les atrocités des
nazis et de leurs collabos, à gauche sur les saloperies
des communistes, au Vatican sur la lâcheté
de ses pontifes et à Saint-Germain-des-Prés
sur l'aveuglement de ses intellectuels : Allez, puisqu'on
vous dit qu'on se repent ! J'absoudrais vos turpitudes
et vous pardonneriez mes ignominies, on oublierait tout,
et surtout, surtout, on réécrirait les manuels
scolaires. Pour que nul Truong plus jamais ne nous méprise
Claude
Mesplède. "N'étant pas
et je suis tout disposé à réparer
cet oubli parmi les destinataires de la pré-édition,
comment avez-vous pu déceler "un certain mépris
de l'être humain" dans ce livre que vous n'avez
pas lu ? Et si vous ne l'avez pas lu, comment pouvez-vous
savoir si "les commentaires laudatifs" de ceux de vos
collègues qui l'ont fait, sont appropriés
ou non ?"
Je n'ai pas lu votre livre mais j'ai tout de même
pris la peine de lire vos réponses aux questions
posées par ceux-là même qui ont accepté
de le lire. C'est à partir de ces réponse
- et non pas comme vous le supposez - par personne interposée,
que j'ai eu l'impression d'un certain mépris pour
l'être humain et un goût pour l'élitisme.
Si ce n'est pas le cas, j'ai mal interprété
certaines de vos réponses.
"Mais laissons là ces arguments qui fleurent,
j'en conviens, la polémique facile. "On" vous aura
dit ce qu'il fallait penser de ce livre, et comme vous
n'aviez aucune raison de suspecter celui ou celle qui
vous disait cela, vous l'avez répété
en toute bonne foi, ainsi vont les rumeurs depuis que
le monde est monde et que l'homme a renoncé à
user de son propre jugement. Fair enough."
Cela tendrait à justifier ce que je disais plus
haut. Vous extrapolez en me considérant comme un
perroquet qui répète bêtement ce qu'on
lui a dit sans concevoir une seconde que je puisse moi
aussi avoir le droit et la possibilité de pouvoir
réfléchir par moi-même comme vous
le faites et recommandez de le faire. Croyez bien que
j'ai réfléchi avant d'écrire ce que
j'ai écrit.
"En revanche, je ne peux pas ne pas réagir à
vos deux dernières phrases. Auschwitz et Hiroshima,
des comportements négatifs ? Le Goulag, le Laogai,
l'agent orange au Vietnam, les massacres du Rwanda, les
charniers de Bosnie, la famine organisée des enfants
irakiens : rien de plus, à vous entendre, que "divers
exemples" de comportements négatifs ? Il me semble
déceler dans vos euphémismes comme un écho
de la grande clameur révisionniste
"
Là c'est le bouquet. Après avoir suggéré
qu'on m'avait soufflé les phrases que j'ai écrites,
voilà que je me retrouve accusé de révisionnisme.
Et pourquoi pas militant du Front National tant que vous
y êtes.
Bien sûr que je condamne comme vous l'Holocauste
et tous les massacres que vous citez. Je sais que l'Homme
n'est pas foncièrement bon. Mais ces raisons ne
sont pas suffisantes pour me conduire à désespérer
du monde. Je ne veux pas devenir un égoiste ni
une autruche, encore moins à mépriser la
majorité de mes semblables.
JMT.
Pardonnez-moi de m'être livré à
ce petit subterfuge à visée pédagogique.
Car bien entendu, les traits venimeux qui à juste
titre provoquent votre indignation n'étaient destinés
qu'à vous faire comprendre ma réaction à
vos propres propos me concernant.
Détaillons un peu le procédé dont
j'ai usé à votre encontre : précisons
d'abord que je ne sais rien de vous, de votre personnalité,
de votre histoire, de vos opinions, de vos engagements,
de vos luttes peut-être. Pourtant, abusant de purs
artifices rhétoriques que vous analysez
fort bien : insinuations, amalgames, extrapolations sans
fondements, etc
je vais réussir en
quelques lignes à jeter le soupçon sur tout
ça : d'abord, en suggérant que vous
manqueriez de probité intellectuelle, et en vous
faisant passer pour quelqu'un tout juste bon à
répéter les opinions d'autrui. Puis, prenant
prétexte d'une expression parfaitement innocente
"comportements négatifs" à
laquelle je vais m'attacher à donner un sens qu'elle
n'a pas, je fais donner les grandes orgues : à
grands renforts de trémolos, je convoque Hiroshima
et le Goulag, pour insinuer je répète
que je ne sais strictement rien de vous pour
insinuer, donc, par des mots soigneusement choisis pour
leur charge sémantique, que vous ne seriez, au
fond, qu'une sorte de Faurisson ("la grande clameur révisionniste")
et même, pendant que j'y suis, un crypto-Le Pen
("ce détail de l'Histoire"), parfaitement
insensible aux grands malheurs de l'humanité.
Le procédé est, bien sûr, inadmissible.
En quelques lignes, je vous cause une grande injustice,
d'autant plus grande que je sais que plusieurs centaines
de lecteurs en auront connaissance, qu'à l'occasion
ils répéteront ces propos, et que vous n'avez
aucun moyen de vous défendre. Car que faire ? Crier
votre indignation, style "Là c'est le bouquet
!" ? Dérisoire. Publier une profession de foi
sur le thème "Bien sûr que je condamne
comme vous l'Holocauste et tous les massacres que vous
citez" ? Personne ne vous croira. Etaler en public
vos états de services, façon "Je milite
au MRAP depuis vingt ans " ou "J'ai fait trois
mois de taule pour avoir manifesté contre la torture
en Algérie" ? Vous êtes bien trop pudique
pour cela. En fait, vous êtes cuit. Dorénavant,
chaque mot que vous prononcerez pour tenter de vous disculper
se retournera contre vous. Un mème est né,
il va faire son chemin, trouver toujours plus de cerveaux
à infecter, et contre ce genre d'infection il n'y
a pas d'antibiotique.
Pourquoi n'ai-je pas dit tout cela en premier lieu, en
réponse à vos propos initiaux ? Pourquoi
n'ai-je pas de suite expliqué ce qu'il y avait
d'odieux à faire donner le "licencié
de chez Lu, AOM ou encore Mark et Spencer" dans un débat
portant sur l'emprise des technologies sur le destin humain,
et ce qu'il y avait d'injuste à fustiger
mon "mépris de l'être humain", alors que
vous ne savez rien de ma vie privée, de mes engagements
passés et présents, de ce que je fais de
mon temps libre, ou de mon argent
? Pourquoi ? Parce
que vous n'auriez pas compris. En fait, vous n'auriez
même pas entendu.
Il fallait d'abord que vous éprouviez ce que j'ai
moi-même éprouvé.
Maintenant, vous comprenez.
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