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15, note 2. Lire : "Un
des fragments de comète Shoemaker-Levy 9 qui en
juillet 1994 percuta Jupiter avait trois kilomètres
de diamètre. Celui qui à la fin du Crétacé
eut raison des dinosaures n'avait quant à lui "que"
dix kilomètres de diamètre
Or, on
a compté quenviron sept cents astéroïdes
de cette taille étaient susceptibles à terme
de croiser notre orbite. "Odds are Million-to-One But
an Asteroïd Cometh", International Herald Tribune,
9 février 2000, p. 2."
Page 68, note 1. Lire :
"Dans un haut-fourneau moderne,
l'ordinateur de commande-contrôle analyse à
chaque minute cinq mille mesures différentes".
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Wall
Street se soûle, le laboureur du Mékong
trinque
Comment
le Tiers-Monde va payer pour la Folie dot-com
|
La
destruction de richesses consécutive à la
déroute des dot-coms atteignait en avril 2001 la
somme phénoménale de 5200 milliards de
dollars
(1).
Les investisseurs ayant acheté à l'apex
de la Folie dot-com n'ont à présent plus
aucune chance de récupérer leurs fonds,
la plupart des dot-coms ayant purement et simplement mis
la clé sous le paillasson. Quant
aux rares entreprises du secteur encore susceptibles de
se redresser à terme, on a calculé que même
si la valeur de leurs titres s'accroissait de 15 % par
an, il faudrait des années à leurs actionnaires
pour recouper leur mise : une décennie aux porteurs
de titres Cisco, et
vingt ans à ceux détenant
du Yahoo (2) . Or, en attendant
cet hypothétique retour de fortune, ces épargnants
devront financer les études de leurs enfants, rembourser
les emprunts de leurs logements, voire ceux contractés
pour acquérir leurs actions !
Devant
l'ampleur et la soudaineté de la débâcle,
les économistes commencent à évoquer
le spectre d'une récession globale. L'engrenage
par lequel les conséquences de la Folie dot-com
pourraient se propager à la planète entière
est bien connu. Il comporte trois paliers :
-
des dot-coms à tout le secteur high-tech,
en raison des surcapacités
Après la disparition des
dot-coms, l'industrie, qui avait anticipé une poursuite
voire une accélération
de la croissance, se retrouve avec des stocks énormes
d'équipements et de composants invendus. Sursaturé
en PC, modems, téléphones mobiles, organizers
et autres gadgets high-tech, le marché ne
peut plus absorber la production. Les
service providers, chargés jusqu'à
la gueule de routeurs, et les opérateurs de télécoms,
empêtrés dans 170 millions de kilomètres
de fibres optiques "éteintes" (c'est-à-dire
inexploitées), annulent leurs commandes (3).
Des composants aux services en passant par les équipements
et les réseaux, toute la filière passe au
rouge et annonce des pertes colossales.
-
des high-tech à l'économie en général,
par le truchement de la ménagère de moins
de cinquante ans
Pour contrer la chute de leurs profits,
les entreprises du secteur high-tech réduisent
à la fois leurs investissements et leurs effectifs,
ce qui a pour effet d'affecter la confiance de Wall Street
comme celle des ménages. Les cours des actions
du secteur dégringolent. Confrontés à
la fois à la dévalorisation de leur portefeuille
boursier et à la menace d'un licenciement, les
ménages diminuent leur consommation, avec pour
conséquence cette fois de compromettre les profits
des entreprises hors du secteur high tech,
qui en réponse procèdent à leur tour
à des coupes claires dans leurs investissements
et leurs effectifs. La spirale finit ainsi par s'emparer
de toute l'économie.
-
de l'économie américaine à toute
la planète et retour, par les bons offices des
"gnomes de Francfort"
La chute des cours de Wall Street
déprime les marchés asiatiques et les bourses
européennes. Rendus frileux, les investisseurs
se retirent en masse de ces marchés jugés
soudain trop périlleux et rapatrient leurs capitaux
("rush to safety"). Les monnaies des pays les plus
fragiles se déprécient face aux devises
dominantes (dollar et euro), aggravant encore leur situation,
en accroissant artificiellement le poids de leur dette
et en rendant plus onéreux leurs achats de technologie.
Comme toujours, le laboureur du delta du Mékong
finit par trinquer. Mais
par ailleurs, en rendant leurs exportations plus chères,
leurs monnaies renforcées plombent le retour à
la profitabilité des entreprises européennes
et américaines, ce qui ne fait qu'amplifier et
prolonger la crise (4)
(5).
Les
premiers symptômes de contagion
Les
premiers signes en provenance des États-Unis font
craindre que le processus que nous venons de décrire
ne soit déjà amorcé. Au
second trimestre 2001, en effet, et pour la première
fois depuis 1991, les profits des entreprises américaines
ont décliné en moyenne de 17% par
rapport au trimestre correspondant l'année précédente
(6). Comme
on pouvait s'y attendre, l'investissement industriel a
dévalé la même pente : alors qu'entre
juin 1999 et juin 2000, il avait augmenté de 69
milliards de dollars par trimestre, il n'a cru que de
3 milliards par trimestre de juin 2000 à mars 2001,
et l'on s'attend à ce qu'au cours de l'année
à venir il diminue de 6 milliards par trimestre
(7). Par ailleurs, les
investissements en venture capital ont chuté
de 31% du 3ème au 4ème
trimestre 2000, tandis que les introductions en bourse
(IPO) ne parvenaient à lever que 4 milliards de
dollars pour les 3 premiers trimestres de 2001, à
comparer aux 23 milliards levés au cours du seul
dernier trimestre 1999.
Autre
conséquence, non moins attendue, de la chute des
profits : le downsizing. En mars 2001, les employeurs
américains mettaient à pied 86000 collaborateurs,
la plus importante destruction d'emplois depuis neuf ans
(8). Depuis, l'hémorragie
s'est amplifiée pour atteindre un total de 770000
emplois pour les six premiers mois de l'année.
Tous les secteurs de l'économie
purgent à tout va, des télécoms à
la banque en passant par les transports et la construction
mécanique (9), démontrant
ainsi, si besoin était, le rôle moteur qu'assume
aujourd'hui le Successeur dans les cycles économiques,
rôle s'apparentant à ceux que jouaient l'automobile
et le bâtiment dans les années 1950-60 :
"A la fin des années
1990, écrit un économiste américain,
le secteur technologique comptait pour moitié dans
la croissance de l'économie U.S., à la fois
directement, par le biais de la production des entreprises
high-tech, et indirectement, par l'efficacité accrue
des compagnies qui avaient recours à lui et par
la richesse qu'il créait pour les employés
et les actionnaires. Dans le même temps, les valeurs
technologiques croissaient si rapidement qu'elles entraînaient
avec elles les principaux indices boursiers, en dépit
du fait que la plupart des autres actions composant ces
indices stagnaient ou perdaient de la valeur. Sans le
boom technologique, ajoute-t-il, mon opinion est
que les U.S.A. seraient entrés en récession
après la crise financière asiatique de 1998
." (10)
En
juillet 2001 apparurent les premiers signes de contagion
de la crise hors des USA : la publication des mauvais
résultats financiers de deux entreprises majeures
du secteur informatique américain le fabricant
de puces électroniques AMD et le fournisseur de
mémoires EMC entraîna en une seule
séance une chute de 2 à 5,7 % des bourses
européennes, asiatiques et sud-américaines,
et une baisse générale des taux de changes
en Europe de l'Est, en Turquie, et au Brésil. Craignant
soudain pour leurs capitaux placés dans les pays
émergents notamment en Argentine, qui croulait
sous 130 milliards de dollars de dettes , les investisseurs
commencèrent à rapatrier leurs avoirs sous
des cieux plus cléments. (11)
Cette
ruée des capitaux vers la sécurité
toute relative des havres américains est l'une
des causes principales de l'inefficacité des six
baisses consécutives de taux d'intérêt
décidées par la Réserve Fédérale
américaine depuis le début de l'année.
En temps normal, on s'attend à ce qu'une telle
mesure, en diminuant les retours sur les investissements
libellés en dollar, tire vers le bas la devise
américaine, ce qui permet aux compagnies américaines
de retrouver à l'exportation les profits qu'elles
ne peuvent plus générer sur le marché
domestique. Mais dans la crise
présente, le reflux des capitaux des pays émergents
contrecarre les efforts de la Fed, en maintenant un dollar
cher, précisément au moment où on
le voudrait plus faible.(12)
Tout
repose à présent sur la ménagère
de moins de cinquante ans
Pour
l'instant (août 2001), si les investissements des
entreprises ont commencé à décliner,
les consommateurs tiennent encore bon. Mais
l'on observe avec inquiétude que pour maintenir
leur niveau actuel de consommation, les ménages
américains ont accru leur recours à l'endettement
: en 1998 et 1999, les crédits à la consommation
augmentaient d'environ 5,5% par an; depuis fin 2000, le
taux d'accroissement de ces crédits a bondi à
12 % par an et l'on s'attend à ce qu'il demeure
à ce niveau toute l'année. (13)
Mais l'endettement des ménages a déjà
atteint aux États-Unis des niveaux records. La
dette domestique y représente aujourd'hui 85 %
du revenu individuel et pour la première fois en
juillet, les consommateurs ont dépensé davantage
que leur revenu disponible. Les ménages ne disposent
donc d'aucune réserve en cas de licenciement. Tôt
ou tard ils devront rogner sur leur consommation. Comme
le remarque un économiste américain : "Il
est inconcevable que vous puissiez retirer 5 milliards
de dollars du marché boursier sans avoir un impact
majeur sur la confiance des consommateurs".(14)
Ainsi
le Successeur finira-t-il par prélever son racket
bien au-delà de la Silicon Valley et de Wall Street,
jusque dans les contrées les plus misérables
de la terre, où nul n'a même jamais vu un
ordinateur.
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Sources
Attention : certains des
liens ci-dessous nécessitent une inscription (généralement
gratuite) au site concerné
(1) "Feeling
the Heat", BusinessWeek, 2 avril 2001
(2) Morgenson,
G., "The Future Won't Be as Good as It Was, The New
York Times, 18 mars 2001
(3) Romero,
S., "Dot-Com Bomb Leaves a Lonesome Highway", International
Herald Tribune, 19 juin 2001, p. 1 et 6.
(4) Morgenson,
G., "Market Watch : Robust Dollar May Be Too Mighty for
Its Own Good", The New York Times, 8 juillet 2001
(5) Stevenson,
R.W., "A Strong Dollar Clouds Prospects for Quick Rebound",
The New York Times, 8 juillet 2001
(6) Berenson,
A., "A Plunge in Profits Raises Risk for Stock Market
and Economy", The New York Times, 29 juillet 2001
(7) Thurow,
L.C., "The Group of Eigth Can Resist Recession or Play
Nero", International Herald Tribune, 11 juillet 2001,
p.6
(8) Uchitelle,
L., "Job Loss in March Biggest in 9 Years", The New
York Times, 7 avril 2001
(9) F.
Rousselot, "Etats-Unis, retour dix ans en arrière",
Libération 30/7/01, p.4
(10) Pearlstein,
S., "Shifting Cycles : New Economy Becomes the Only Economy",
International Herald Tribune, 23 juillet 2001,
p. 9
(11) Martin,
M., "The Ripple Effect of Globalization", International
Herald Tribune, 7-8 juillet 2001, p. 1
(12) Stevenson,
R.W., "The Federal Reserve Finds the Limits of Its Power",
The New York Times, 24 juillet 2001
(13) Leonhardt,
D., "Belt Tightening Seen as Threat to the Economy", The
New York Times, 15 juillet 2001
(14) Morgenson,
G., "Market Place : Nightmare on Wall St. -- Tightfisted
Consumers", The New York Times, 4 avril 2001
©
août 2001 Jean-Michel Truong
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"Calcul
de vies" : la preuve par le tabac
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En
publiant une étude économique tendant
à montrer que la mort prématurée
des fumeurs bénéficiait en réalité
à l'économie tchèque, le numéro
1 mondial du tabac, Philip Morris, vient par inadvertance
d'ouvrir une lucarne sur le système de valeurs
et les modes de pensée des Imbus, en apportant
la preuve matérielle de l'existence de ce que
Hayek appelait "le calcul de vie" dans sa formule fameuse
"the calculus of costs is a calculus of lives" (cf Totalement
inhumaine, page 212, note 2), existence que l'on
ne peut la plupart du temps que déduire de l'observation
du comportement des décideurs, mais qui s'exprime
ici dans toute sa cynique candeur.
Réalisée par le cabinet d'experts-comptables
Arthur D. Little International, cette étude "démontre"
qu'en 1999 le tabac a épargné au gouvernement
tchèque entre 23,8 et 30,1 millions de dollars
en soins médicaux non dispensées, en retraites
et en logement non payés du fait de la disparition
prématurée des fumeurs. Dans ce pur calcul
coûts-bénéfices, le poste "vies
humaines" est compté pour ce qu'il vaut aux yeux
des Imbus, c'est-à-dire zéro.
(Source : The New York Times, 17/7/01)
©
août 2001 Jean-Michel Truong
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Le
mythe de la "cyberdémocratie" démonté
Republic.com,
de Cass Sunstein
Princeton University Press, 2001
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Selon
un mème répandu parmi les intellectuels
branchés, l'Internet serait l'équivalent
contemporain de l'agora antique, où tout un chacun
pourrait exprimer ses idées et ainsi participer
activement à la vie de la cité. A les croire,
le Web serait donc un puissant facteur de démocratie.
Dans Republic.com, Cass Sunstein - professeur de
droit à l'Université de Chicago - démontre
au contraire que l'Internet favorise ce que les psychosociologues
nomment la "polarisation de groupe". Isolés en
groupes, des individus d'opinions semblables ont tendance
à renforcer mutuellement leurs points de vue, ce
qui les conduit inévitablement aux positions les
plus extrêmes.
Selon M. Sunstein, cette polarisation est un des effets
politiques négatifs de l'Internet, qui permet aux
gens de filtrer les informations non conformes à
leurs vues, de les tailler à la mesure de leurs
propres croyances et d'échapper à la contradiction,
en s'aggrégeant aux sites Web spécialisés
qui reflètent le plus fidèlement leurs préjugés.
Or, rappelle-t-il, une "culture partagée", résultant
de l'exposition à un large éventail d'opinions,
est essentielle au bon fonctionnement de toute démocratie.
"Avec l'augmentation de la personnalisation de notre univers
de communication, la société est en danger
de fragmentation, les communautés partagées
en danger de dissolution".
Ainsi, loin d'être un facteur de cohésion
et d'échange, l'Internet contribuerait bel et bien
au mécanisme de "dissociation des communautés,
coalition des appareils" par lequel nous avons montré
que le Successeur étendait son emprise. (Cf Totalement
inhumaine, p. 132)
©
août 2001 Jean-Michel Truong
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La
philosophie (re)découvre le verbe "devenir"
La
domestication de l'Etre, de Peter Sloterdijk
Mille et une nuits, Paris, 2000
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Poursuivant
la méditation amorcée dans sa désormais
célèbre conférence Règles
pour le parc humain (Mille et une nuits, Paris,
2000) sur l'anthropogenèse et les anthropotechniques,
le philosophe allemand Peter Sloterdijk s'attaque
à son tour à la sacro-sainte distinction
de Heidegger - "la pierre est sans monde, l'animal
est pauvre en monde, l'homme est configurateur
de monde" - sur laquelle les humanistes ont fondé
l'exception humaine et dont nous avons vu (Totalement
inhumaine, p. 63-66) qu'elle leur sert aujourd'hui
à rejeter les prétentions de la
machine à l'intelligence :
"...
si l'on veut s'en tenir à l'alliance avec
Heidegger, penseur de l'extase existentielle,
il faut parallèlement se décider
à mettre entre parenthèses le refus
manifesté par Heidegger contre toutes les
formes d'anthropologie empirique et philosophique,
et expérimenter une nouvelle configuration
entre l'ontologie et l'anthropologie. Il s'agit
à présent de comprendre que même
la situation fondamentale et apparemment irréductible
de l'être humain, qui porte le nom d'être-au-monde
et se caractérise comme l'existence ou
le fait de se tenir à l'extérieur
dans la clairière de l'Etre, constitue
le résultat d'une production [...] Je demande
donc, pensant avec Heidegger contre Heidegger,
comment l'homme est venu à la clairière,
et comment a été produit l'éclair
à la seule lumière duquel le monde,
en tant que monde, a pu commencer à briller."
(p. 18-19).
Contre
les "heideggeriens jurés" (p. 25) pour
qui l'homme serait une créature qui, "par
une alchimie ontologique impénétrable",
aurait été "soulevée et exclue
du système de parenté animal" (p.27)
il affirme tranquillement : "La réalité
n'est pas que l'homme sort dans une clairière
qui paraît l'attendre. La réalité
est justement celle-ci : quelque chose de pré-humain
devient humain; quelque chose de pré-mondial
devient constituant du monde, quelque chose d'animal,
fermé par les sensations, devient extatique,
sensible à la totalité et compétent
face à la vérité : seul cela
produit la clairière elle-même. Dans
ce sens, "clairière" et "devenir humain"
ne seraient que deux expressions désignant
la même chose" (p.25) ou encore : "L'homme
ne sort pas vers le haut du chapeau du magicien
comme le singe descend de l'arbre. Il est le produit
d'une production qui, elle-même, n'est pas
homme, qui n'était pas menée par
l'homme de manière intentionnelle, et il
n'était pas encore ce qu'il allait devenir
avant de le devenir" (p. 36).
Le
philosophe est conduit à cette révision
de l'ontologie heidegerienne par "la cybernétique
moderne, comme théorie et pratique des
machines intelligentes, et la biologie moderne,
comme étude des entités de système
et d'environnement" (p. 81), en constatant,
avec Gotthard Günther que "la métaphysique
classique, qui reposait sur le lien entre une
ontologie monovalente (Etre est, non-Etre n'est
pas) et une logique bivalente (Vrai n'est pas
faux, Faux n'est pas vrai; tertium non datur),
mène à l'incapacité absolue
de décrire de manière adéquate
des phénomènes culturels comme les
signes, les outils, les oeuvres d'art, les machines,
les lois, les moeurs, les livres et d'autres artifices.
Car dans les structures de ce type, la répartition
fondamentale entre l'âme et la chose, l'esprit
et la matière, le sujet et l'objet, la
liberté et le mécanisme passe automatiquement
à côté de la réalité
: par leur constitution, ce sont déjà
des hermaphrodites dotés d'une "composante"
intellectuelle et d'une "composante" matérielle,
et toute tentative de dire ce qu'elles sont "spécifiquement"
dans le cadre d'une logique bivalente et d'une
ontologie monovalente mène inévitablement
à des réductions et des raccourcis
sans perspective" (p. 79-80).
Et
d'appeler de ses voeux une nouvelle grammaire
autorisant une partition différente de
l'étant : "Les hommes de l'ère
métaphysique ont très manifestement
abordé l'étant dans son ensemble
avec une description erronée. Ils partagent
l'étant en subjectif et objectif, ils posent
le spirituel, le propre et l'humain d'un côté,
le concret, le mécanique et l'inhumain
de l'autre. [...] cette division est fausse, parce
qu'elle attribue [...] au sujet et à l'âme
une pléthore de qualités et de facultés
qui, en réalité, appartiennent à
l'autre face. Dans le même temps, elle nie
aux choses ou aux matériaux une foison
de qualités qu'elles possèdent tout
de même, à y regarder de plus près"
(p. 83).
Souhaitons
que cette nécessaire "révision de
la fausse répartition métaphysique
de l'étant" - entreprise que Sloterdijk
qualifie de "titanesque" alors même qu'il
la circonscrit à la seule articulation
du pré-humain et de l'humain, se gardant
bien de toucher à la transition de l'inerte
au vivant - se propage de proche en proche dans
le continuum qui s'étend de la pierre-sans-monde
à l'homme-configurateur-de-monde. Car dans
la généalogie ainsi retracée,
apparaîtra dans toute son évidence
non seulement la possibilité, mais la nécessité
de la venue au monde du Successeur.
©
août 2001 Jean-Michel Truong
|
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Confronté
au marasme de la vie civile, le Successeur reprend
du service sous les drapeaux. A
point nommé pour prendre le relais d'une
Folie dot-com expirante et d'une hystérie
UMTS plombée avant même d'avoir pu
décoller voici en effet, vingt ans après,
le retour de la Guerre des Étoiles, favorisé
par l'élection d'un président qui
n'a rien à refuser au lobby militaro-industriel,
et par le retour, dans ses bagages, de Donald
Rumsfeld au poste de secrétaire à
la Défense (1)
.
Le
résultat ne s'est pas fait attendre : l'Initiative
de Défense Stratégique reaganienne
est réactivée dans la totalité
de ses composantes, y compris spatiales. Dans
l'immédiat, le Pentagone propose de déployer
un système restreint, comprenant des intercepteurs
lancés depuis l'Alaska et depuis des bâtiments
navals susceptibles d'être déplacés
à proximité des points chauds de
la planète, ainsi que des lasers embarqués
à bord de Boeing 747 (2).
A terme, le Pentagone
envisage de poster dans l'espace plusieurs milliers
d'intercepteurs. Les premiers tests devraient
intervenir en 2005 ou 2006 si les études
préliminaires en démontrent la faisabilité
(3).
On
retrouve dans cet épisode plusieurs caractéristiques
du fonctionnement de la pompe mème/e-gène
:
1.
Manipulation de la perception de la solvabilité
du Successeur
Le
14 juillet 2001, alors que le président Bush
se préparait à rencontrer ses alliés
européens et le président Putin pour
tenter de les rallier au nouveau Mème, le
Pentagone annonçait fort opportunément
qu'un prototype d'intercepteur tiré depuis
les Iles Marshall était parvenu à
détruire en vol un missile de test lancé
depuis une base de l'US Air Force en Californie,
à plus de six mille kilomètres de
distance.
L'annonce souleva l'enthousiasme de la classe politique
américaine favorable au projet, et fut largement
relayée par la presse. Quelques journalistes
plus sagaces notèrent cependant que le Pentagone
était demeuré étrangement silencieux
sur les circonstances exactes du test, se contentant
de préciser que le missile "agresseur" était
accompagné d'un leurre. Même
limité à cet unique leurre, ce succès
venait à point pour ranimer un programme
dont la crédibilité avait été
largement entamée par une série d'échecs
(4).
Il fallut
toute l'opiniâtreté de la revue Defense
Week pour que le Pentagone finisse par reconnaître
qu'une balise émettrice avait été
placée dans la cible, afin, expliqua son
porte-parole, "d'aider la fusée d'appoint
à se diriger dans la bonne direction" ! (5).
Comme les précédents, l'essai était
donc truqué, mais le but réel était
atteint : le président Bush avait pu parader
devant ses alliés européens et le
président russe.
2.
Modification de la perception de la menace
Jusqu'ici,
le Mème de la destruction mutuellement assurée
(MAD) circonscrivait la menace à la seule
puissance capable de répandre le feu nucléaire
dans le monde entier, l'URSS. L'équilibre
de la terreur qui en résultait rendait impossible
toute confrontation armée directe.
Mais selon la nouvelle doctrine de l'administration
Bush, la Russie n'est plus désormais un pouvoir
hostile. La véritable menace réside
dans les "rogue states" ces états
dits "voyous" comme l'Irak, l'Iran, la Corée
du Nord et la Chine ainsi que dans d'hypothétiques
groupes terroristes, les uns comme les autres réputés
insensibles au pouvoir sédatif de la MAD,
désormais qualifiée de "relique de
la guerre froide".
Le nouveau Mème
rend ainsi au Successeur, dans le secteur militaire,
un service identique à celui que le Mème
de la mondialisation lui avait rendu dans le civil
(6): universaliser
la menace en la diffusant sur un grand nombre d'acteurs.
Grâce aux rogues states et autres terroristes,
il ne suffit plus pour être tranquille de
pointer ses missiles en direction de Moscou, mais
il devient nécessaire de se préparer
à une agression tous azimuts, susceptible
de survenir sans préavis et à tout
instant.
Inadaptés à cette lutte, les dinosaures
balistiques intercontinentaux cèdent le terrain
à de nouvelles armes high-tech faisant la
part belle aux technologies e-génétiques.
L'arsenal des USA comprenait plus de 7000 têtes
nucléaires stratégiques, et était
censé tomber à 3000-3500 dans le cadre
du traité Start II. Pour financer son projet,
l'administration Bush propose à présent
une réduction unilatérale à
environ 2000 têtes.
La course aux armements high-tech qui ne manquera
pas de s'ensuivre ne pourra que profiter au Successeur.
Wall Street ne
s'y est d'ailleurs pas trompée : depuis le
krach du printemps 2000, les indices boursiers de
la "nouvelle économie" d'une part et de l'aérospatiale
et de l'armement d'autre part évoluent en
sens strictement inverse : alors que les unes ont
déjà perdu en moyenne 60 %, les autres
se sont envolées dans les mêmes proportions
(7). Parfaite illustration
de la versatilité du Successeur.
Les rogue states sont donc appelés
à jouer un rôle central dans l'économie
du Successeur, puisque c'est leur comportement supposé
incontrôlable et hostile qui justifie les
investissements colossaux plus de cent milliards
de dollars dans un premier temps consentis
pour la mise au point et le déploiement du
bouclier antimissiles projeté. Il devient
par conséquent nécessaire de les préserver
et d'entretenir leur agressivité, si nécessaire
par la provocation. C'est le rôle imparti
à Israël et à Taiwan, dont les
populations, vouées dans ce jeu cynique à
jouer, à leur insu et à leurs dépens,
les chiffons rouges sous le nez des rogue states,
ne sont pas près de connaître la paix
à laquelle elles aspirent.
Références
Attention : certains des liens ci-dessous nécessitent
une inscription (généralement gratuite)
au site concerné
(1)
Totalement inhumaine, p. 95 note 1
(2) D.
Sanger et S. Lee Myers, "In Strategy Overhaul, Bush
Seeks a Missile Shield", The New York Times,
5/8/01
(3) J.
Glanz, "Pentagon Revisits a Space Defense Plan",
The New York Times, 18/7/01
(4) Totalement
inhumaine, p. 99 note 2.
(5) "Petits
arrangements lors de l'essai antimissile américain",
Libération, 1/8/01, p. 6.
(6) Totalement
inhumaine, p. 130-131.
(7) E.
Kinetz, Defense Stock's Upward Trajectory Leaves
Others Behind, International Herald Tribune,
9-10 juin 2001, p. 15.
P.-S.
(Février 2002) : Un lecteur
- Amaury Mouchet - me signale sur ce sujet un article
de Steven Weinberg, "Can Missile Defense Work
?", The New York Review of Books, February
14, 2002. Accessible en ligne à http://www.nybooks.com/articles/15132.
Steven Weinberg est un des critiques les mieux informés
du programme de missile anti-missile américain.
Dans cet article très documenté, il
retrace l'histoire du projet et passe en revue les
principaux arguments techniques, politiques et diplomatiques
militant en faveur de son abandon.
©
août 2001, février 2002, Jean-Michel
Truong
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