 Delachaux Niestlé, 2025
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L’Hystéria. Diagnostic et prévention.
Comme Listeria, ce poison des aliments terrestres, l’Hystéria est l’agent infectieux corrupteur de nourritures intellectuelles responsable de fièvres épidémiques violentes et d’embarrassants problèmes de transit. L’ambition du présent opuscule d’introduction critique à ce qu’il est paresseusement convenu d’appeler « Intelligence artificielle » est d’immuniser les publics les plus exposés aux incessants assauts de ce virus : étudiants séduits par de brillantes possibilités de carrière, pères de famille appâtés par la perspective de placements à rendements élevés, chefs d’entreprises en quête de sources nouvelles de profits, ingénieurs curieux de voir plus loin que le bout de leurs écrans, journalistes désorientés par la profusion régnant à ce propos dans la sphère médiatique, enseignants soucieux de prémunir leurs pupilles, et plus généralement tout honnête homme curieux des passions de son temps, mais résolu de garder la tête froide. Tel un vaccin, il entend les protéger contre l’Hystéria en leur instillant les doses d’information strictement utiles – ni plus, ni moins – à la production de l’immunité recherchée.
Instruit par bientôt quarante années de compagnonnage avec l’IA – tantôt au cœur de l’action, tantôt en périphérie, jamais loin de la scène du crime, jamais indifférent à ce qui s’y tramait, jamais complice, jamais totalement innocent... – je témoignerai sans haine et sans crainte de ce que j’ai appris d’elle, de ses espoirs, de ses succès, de ce qu’elle a apporté et apportera encore à la connaissance, mais aussi de ses échecs et parfois de ses impostures, de ses impasses et du chemin qu’il lui reste à parcourir.
Faisant mien l’adage voulant que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, je m’exprimerai en une langue accessible à tous, exempte de toute trace de ce baragouin technocratique, de ce gazouillis parascientifique, de ces cache-misère mathématiques, de ce pathos eschatologique sous lesquels, à longueur de publications et d’interventions dans les médias, les Artificiellement Intelligents – chercheurs sincères et désintéressés mais aussi, bien plus prolifiques hélas, cuistres, aigrefins, opportunistes, aèdes faiseurs de mensonges, évangélistes, philosophes multicartes, beaux parleurs, accapareurs de dots, influenceurs, idiots utiles et autres précieux ridicules... – travestissent leur ignorance ou camouflent, non sans arrière-pensées, leurs chausse-trappes.
Fidèle au précepte de Guillaume d’Ockham, je me garderai de déployer mes arguments plus que nécessaire. J’ai ainsi délibérément restreint cet opus aux manifestations publiques les plus illustratives du domaine, laissant de côté l’infini foisonnement des recherches et développements dont elles ne sont que les émergences les plus spectaculaires.
Nonobstant ce vœu de sobriété, je ne m’interdirai pas d’évoquer des paysages, des perspectives, des acteurs, que les zélateurs de l’IA contemporaine ignorent ou passent sous silence pour ne pas faire d’ombre à leur idole du moment et qui constituent pourtant le terreau fertile dans lequel, à leur insu et parfois contre leur gré, naîtra, évoluera et un jour prospérera – à côté de la nôtre ou lui faisons front, c’est selon – une intelligence totalement inhumaine.
À présent, puisqu’insensiblement mais de façon insistante s’est faufilée dans cette introduction une analogie péripatéticienne – au sens des déambulations dans la campagne athénienne au cours desquelles Socrate, nous apprend Platon, enseignait la philosophie à ses compagnons de flâneries – je vous invite à me suivre sur les traces, tantôt fraîches du jour, tantôt anciennes et presque estompées, de ces aventuriers qui aspirèrent, et aspirent aujourd’hui plus ardemment que jamais, à conquérir, les premiers, ce sommet réputé inattingible : une conscience forgée de toutes pièces, égalant voire surpassant la nôtre, et pourtant détachée voire totalement affranchie d’elle. [...]
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