Un
roman de politique-fiction sur le délicat problème
du financement des retraites. A donner la chair de poule.
Lorsque Jean-Michel Truong, enfant de Strasbourg
parti courir le monde à la poursuite des nouvelles
technologies, publia son premier roman, ce fut une véritable
révolution. Paru en 1988, "Reproduction
interdite" était le premier thriller consacré
au clonage humain. Ouvrez-le aujourd'hui et vous frissonnerez
plus encore qu'à l'époque: tout est là!
Truong repartit au bout du monde. Puis écrivit
son deuxième roman, plus fabuleux encore: "Le
Successeur de pierre" est aujourd'hui un des classiques
de la science-fiction française. De nouveaux
voyages et voilà que Truong nous livre son troisième
opus, "Eternity Express". Tiercé gagnant.
Bien sûr, "Eternity Express" n'a pas
la même ambition que les deux précédents
romans de Jean-Michel Truong. C'est un livre plus court,
plus nerveux, où les personnages sont des silhouettes.
Tout est déjà dans le titre, et l'on est
donc prévenu: ça ira vite. Une fois encore,
Truong s'empare d'un problème actuel et nous
fait comprendre quelles menaces nous guettent à
travers une intrigue subtile et terrifiante, au dénouement
littéralement atroce.
La longévité comme menace
Quel
est le problème majeur auquel les gouvernements
de la planète doivent faire face aujourd'hui?
L'hyper vieillissement de la population, répond
Truong. En témoigne le délicat problème
du financement des retraites sur lequel le Premier ministre
français fit récemment une sortie remarquée,
relayée quelques temps plus tard par les membres
de l'Administration Bush, prompts à assurer le
bien-être de leurs retraités (qui sont
aussi des électeurs) mais aussi l'avenir d'un
pays qui ne saurait se composer que d'aïeux.
Que faire de nos vieillards? Comment financer à
la fois la relance et les retraites lorsque la bulle
internet se dégonfle, que le mirage de la nouvelle
économie s'évanouit, que s'affolent les
marchés bref lorsque l'économie s'écroule?
Ce problème, quelques hiérarques tout-puissants
issus de traditions moins éclairées le
tranchent en fonction d'un critère ancré
dans une philosophie scientiste et progressiste dont
le refrain pénètre de plus en plus régulièrement
nos contrées: "Il faut que certains
meurent pour que le plus grand nombre vive. " Théorie
de la sélection naturelle de l'espèce.
En projetant cette loi du choix dans notre avenir proche
et en la plaquant sur le délicat - et très
actuel - problème du financement des retraites, Jean-Michel
Truong signe un roman qui donne quelques sueurs froides:
en 2008, l'économie mondiale est à son
plus bas niveau et l'Union européenne n'a d'autre
ressource que de voter une "Loi de délocalisation
du troisième âge".
Nos retraités sont alors invités à
mettre le cap sur un village édénique
mais lointain (aux confins de la Chine) baptisé
Clifford Estates. Ils s'y rendent en montant à
bord d'un transsibérien qui n'a plus rien à
voir avec l'Orient Express rempli d'altesses en goguettes
et de dandys oisifs chers à Agatha Christie:
ce train-là mène à l'enfer.
Les
méfaits du cynisme
Jonathan
est un médecin au passé trouble. A bord
de cet Express de la dernière chance, il est
témoin d'une suite inexplicable de décès.
Mais il entend, surtout, les raisonnements de chacun.
Ce dernier point confère toute sa saveur à
ce thriller très bien mené et d'une indéniable
portée philosophique. "Eternity Express"
est aussi une dénonciation de l'insouciance et
du cynisme pratiqué par les quadras d'aujourd'hui:
"tout occupés à s'enrichir, ils
avaient oublié de faire des enfants".
Cette vision de l'avenir est saisissante. Truong
procède, à l'instar des grands auteurs
de science-fiction, en mêlant habilement psychologie,
politique et leçons de l'Histoire. Une réussite
explosive. Et pour le moins déconcertante.
François
Busnel
©
Dernières Nouvelles dAlsace, n° 51,
samedi 1er mars 2003, page 10