Comment
se débarrasser des baby-boomers devenus des papy-boomers?
Les recettes à peine fictionnelles de Jean-Michel
Truong.
Quatre
cents seniors prennent place dans le TGV numéro
104. Terminus : Clifford Estates, en Chine, où
les attend un mouroir de rêve, golf dernier cri,
terrain de polo, cours de tennis, jardins babyloniens.
Jonathan est de ceux-là. Il est le fil noir d'Eternity
Express, un héros de la race des mercenaires.
Dans son compartiment, un couple autrefois richissime
laminé par le «mardi noir»,
deux antiquaires du Marais, un ancien ingénieur,
un échantillon de l'humanité vieillissante,
parti pour un voyage sans retour aux confins de l'Asie.
«Sur le quai, par portables interposés,
les familles éplorées prodiguèrent
aux parents d'ultimes marques d'hypocrisie filiale.
Et le train s'ébranla.»
La
société de Truong est arrivée en
bout de piste. Les baby-boomers sont devenus des papy-boomers.
Une masse exponentielle, cent millions de vieillards
improductifs, qui ont accru le casse-tête du financement
des retraites. Les gouvernants européens ont
voté, en 2020, une loi de délocalisation
du troisième âge. Pas moins qu'une déportation.
«Preuve définitive de la supériorité
du développement européen, qui a toujours
cherché à concilier dynamisme économique
et solidarité sociale, explique un prof embarqué
vers le lointain éden. Voyez les Etats-Unis,
où les vieux travaillent jusqu'à 70, 80
ans puis crèvent en silence dans les caves...»
Mieux
vaut passer ses vieux jours à l'autre bout du
monde, semblent se dire les papy-boomers. Ils tuent
le temps tant bien que mal à bord de ce Transsibérien
d'un autre genre. De mystérieux empoisonnements
vont donner un fumet policier au voyage. Rien de bien
méchant par rapport à ce que leur mijote
Truong. Avec raffinement, et avec un pessimisme sans
nuages, l'auteur de Reproduction interdite et
du Successeur de pierre pousse encore jusqu'au
bout les travers de la société.
Frédérique
ROUSSEL
©
Libération, jeudi 17 avril 2003