Auteur
d'ouvrages sur le clonage humain et l'intelligence artificielle,
Jean-Michel Truong publie son troisième roman d'anticipation.
Une histoire d'hommes en route vers le Meilleur des mondes...
Un cauchemar !
Dans
le train de la mort de Jean-Michel Truong, on sert champagne
et foie gras. Les wagons-lits sont de grand luxe. Dedans
se pressent non les enfants d'une même race, mais
ceux d'une génération : les fils du baby
boom et des Trente glorieuses, ex quinquas dynamiques
qui, depuis certain "mardi noir" qui mit par
terre les Bourses mondiales, n'ont plus de pouvoir d'achat
autant dire qu'ils ne sont plus personne. Ce n'est
pas à la mort, néanmoins, qu'officiellement
ce train conduit les quatre cents exilés forcés
que devraient suivre quelques millions d'autres, mais
quelque part en Chine profonde, dans le somptueux village
de retraite promis par les dépliants publicitaires.
Qui parle de train de la mort, d'ailleurs, d'euthanasie,
d'entreprise discrète mais systématique
d'élimination des bouches inutiles pesant sur la
société future imaginée par Truong
? Certainement pas Jonathan, le narrateur et médecin
de ce premier convoi vers la terre promise des vieux,
un humaniste aventurier dont on ne découvrira qu'au
dernier instant l'étendue du savoir cynique. Car
c'est bien de cynisme qu'il s'agit, dans les bouquins
de Truong. Un cynisme à grande échelle,
puisque c'est celui d'une société dont le
discours moralement correct grime sans peine en vertu
les crimes et les complicités silencieuses. Cynisme
donc, et mise en garde. Cassandre des temps modernes,
Truong signe en effet des romans d'anticipation qui sont
autant de cris d'alarme. En 1989, quatorze ans avant Raël,
il annonçait dans Reproduction interdite
l'avénement d'un monde où des clones humains
fabriqués à la chaîne tiendraient
lieu de bétail, de bêtes de laboratoire,
d'esclaves et de chair à canons. Effrayant. Dix
ans plus tard, il proposait à notre méditation
le spectacle glaçant d'individus cloîtrés
dans leurs bulles sécuritaires et qui n'auraient
plus de commerce que virtuel avec le monde extérieur.
Dans ce Successeur de pierre, déjà,
le crime de masse était élevé au
rang de raison d'Etat... Moins génial mais plus
efficace, Eternity Express renoue avec ces sinistres
marottes prémonitoires. Et, une fois encore, fait
froid dans le dos.
Laurence
Vidal
©
Gala n° 504 du 6 au 12 février 2003,
page 70
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