Eternity Express
Critique des médias

 

Actualité de l'auteur

Interviews et portraits

Dialogue avec l'auteur

Facebook

 

 

Le voyage sans retour
par Laurence VIDAL

Auteur d'ouvrages sur le clonage humain et l'intelligence artificielle, Jean-Michel Truong publie son troisième roman d'anticipation. Une histoire d'hommes en route vers le Meilleur des mondes... Un cauchemar !

Dans le train de la mort de Jean-Michel Truong, on sert champagne et foie gras. Les wagons-lits sont de grand luxe. Dedans se pressent non les enfants d'une même race, mais ceux d'une génération : les fils du baby boom et des Trente glorieuses, ex quinquas dynamiques qui, depuis certain "mardi noir" qui mit par terre les Bourses mondiales, n'ont plus de pouvoir d'achat – autant dire qu'ils ne sont plus personne. Ce n'est pas à la mort, néanmoins, qu'officiellement ce train conduit les quatre cents exilés forcés que devraient suivre quelques millions d'autres, mais quelque part en Chine profonde, dans le somptueux village de retraite promis par les dépliants publicitaires. Qui parle de train de la mort, d'ailleurs, d'euthanasie, d'entreprise discrète mais systématique d'élimination des bouches inutiles pesant sur la société future imaginée par Truong ? Certainement pas Jonathan, le narrateur et médecin de ce premier convoi vers la terre promise des vieux, un humaniste aventurier dont on ne découvrira qu'au dernier instant l'étendue du savoir cynique. Car c'est bien de cynisme qu'il s'agit, dans les bouquins de Truong. Un cynisme à grande échelle, puisque c'est celui d'une société dont le discours moralement correct grime sans peine en vertu les crimes et les complicités silencieuses. Cynisme donc, et mise en garde. Cassandre des temps modernes, Truong signe en effet des romans d'anticipation qui sont autant de cris d'alarme. En 1989, quatorze ans avant Raël, il annonçait dans Reproduction interdite l'avénement d'un monde où des clones humains fabriqués à la chaîne tiendraient lieu de bétail, de bêtes de laboratoire, d'esclaves et de chair à canons. Effrayant. Dix ans plus tard, il proposait à notre méditation le spectacle glaçant d'individus cloîtrés dans leurs bulles sécuritaires et qui n'auraient plus de commerce que virtuel avec le monde extérieur. Dans ce Successeur de pierre, déjà, le crime de masse était élevé au rang de raison d'Etat... Moins génial mais plus efficace, Eternity Express renoue avec ces sinistres marottes prémonitoires. Et, une fois encore, fait froid dans le dos.

 Laurence Vidal

© Gala n° 504 du 6 au 12 février 2003, page 70

retour à la liste