nooSFère
: Dans le domaine des biotechnologies (clonage et autres
manipulations génétiques), ce que nous
considérions hier comme du strict domaine de
la SF, devient aujourd'hui une réalité.
Cet état de fait modifie-t-il votre approche
dans votre métier d'écrivain de SF ? Le
vivez-vous comme des contraintes ou comme un excitant
défi permanent ?
J.-M.
Truong : J'écris des fictions qui, partant de
la situation d'une technologie telle que je la connais
aujourd'hui, essayent de préfigurer comment elle
peut évoluer à moyen terme deux
ou trois dizaines d'années maximum si
rien ne change dans le champ de forces économiques,
légales, sociologiques qui la contraint.
Ce n'est pas de la science-fiction, c'est de la balistique
: calculer où retombera un projectile étant
donné son angle de tir et sa vitesse initiale,
toutes choses égales par ailleurs. Que le clonage
ait évolué de manière presque nominale
par rapport à la trajectoire que j'avais ainsi
calculée dans Reproduction interdite ne
fait que me conforter dans l'idée que c'est la
bonne approche.
Pour
survivre sur une Terre surpeuplée et polluée
ou pour affronter la longueur des voyages spatiaux,
l'homme ne va-t-il pas être obligé d'adapter
son patrimoine génétique ? En tant qu'auteur
de SF, comment voyez-vous, à long terme, l'avenir
biologique de l'Homo Futuris ?
A
long terme, il n'a pas d'avenir. La matière organique
- l'ADN, les protéines - est condamnée
par les mêmes lois physiques qui rendirent sa
formation possible. Par conséquent, il ne sert
à rien d'investir - financièrement et
intellectuellement - dans les vols spatiaux habités.
Toutes ces ressources seraient bien mieux employées
à tenter de transférer nos connaissances
dans un véhicule plus capable que le corps humain
de traverser l'espace et le temps, et ainsi d'assurer
la survie, sinon de nos corps, du moins de nos idées.
La
question de la définition de l'humain et de la
limite entre homme et machine a souvent été
posée par la science-fiction. Considérez-vous
la science-fiction comme le genre littéraire
le plus adéquat pour abordercette problématique
? Comment l'avez vous abordée dans votre oeuvre
?
La
science-fiction souffre trop, hélas, du discrédit
attaché à tout divertissement pour constituer
le vecteur adéquat à une quelconque réflexion
sur cette question en effet cruciale. A l'époque
de Reproduction interdite, les gens soi-disant
prétextaient du fait que ce n'était «que»
de la science-fiction pour refuser tout débat
sur les idées qu'il contenait. Les idées
du Successeur de pierre ont connu le même
sort, hors du Landerneau SF qui a bien voulu leur faire
bon accueil. Je viens de les reprendre sous la forme
plus conventionnelle d'un essai, Totalement inhumaine,
paru en septembre aux Empêcheurs de penser en
rond. Si vous souhaitez voir ce que cela donne, le chapitre
1 est lisible sur mon site.
Il
est encore trop tôt pour tirer des conclusions,
mais les premières réactions me parvenant
semblent montrer que les idées jusque-là
confinées dans la sphère SF trouvent,
grâce à ce nouveau vecteur, leur chemin
vers un public différent.
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