Commentaire
d'Eternity Express
par
Jauhel
Je
n'ai pas grand chose à ajouter à l'excellente
critique envoyée par
Olivier Noël, mais parmi toutes les oeuvres de
SF que j'ai lues dernièrement c'est la seule
dont j'ai envie de parler. Disons tout d'abord que je
ne sais pas encore si j'ai aimé ou pas Eternity
Express. Les raisons pour critiquer ce livre sont
nombreuses.
L'intrigue
est cousue de fils blancs : dès le départ
le lecteur a compris ce qui attend ces malheureux vieillards.
L'humanité a la mémoire courte écrit
Truong, d'accord mais la mémoire est sélective
et pour un lecteur d'aujourd'hui il est facile de deviner
la destination d'un train qui part avec une cargaison
d'humains inutiles et coûteux. Donc pas de suspens.
Les
personnages : de simples supports, impossible de s'attacher
à eux, non pas parce qu'il sont mauvais. Le mal
est fascinant, comment ne pas aimer Stavroguine, Fantômas
ou Eymerich, mais parce qu'ils n'ont pas d'existence,
ce sont des concepts philosophiques ou politiques.
Beaucoup
à dire aussi sur la narration : Truong ose ce
qu'aucun auteur de SF n'oserait faire. On a droit à
des pages et des pages d'explications sur l'histoire
de la Terre au début du 21ème siècle:
Le krach boursier, les jeux olympiques de Pékin,
l'arrivée vers la vieille Europe de jeunes migrants
plein de vie... Truong explique à n'en plus finir...
Pas de sexe et même pas
de passages plein de poésie... Bref tous les
ingrédients d'un roman raté. Le problème
c'est que j'ai ouvert le livre, et je ne l'ai plus quitté.
Je suis resté scotchée sur mon fauteuil
jusqu'à la fin... Difficile dans ces conditions
de parler de roman raté.
L'intérêt
de Eternity Express réside essentiellement
dans les problèmes qu'il soulève. Les
contradictions qui apparaissent quand on prolonge certaines
tendances de notre société : contradiction
entre une volonté médicale de prolonger
la vie et la charge que représente cette population
âgée (voir à ce sujet l'excellente
nouvelle de Mike Resnick: Fleurs de serre parue
dans le n° 25 de Galaxies), contradiction
entre le souci de protéger l'écologie
et celui de garantir notre bien être pour ne donner
que quelques exemples, car le bouquin de Truong est
bien plus riche que ce qui peut apparaître dans
un résumé.
On
peut ne pas être d'accord avec les réponses
implicites de Truong : personnellement je ne les trouve
pas antihumanistes, je les trouve réactionnaires.
Ce qui ressort de l'idéologie de l'auteur c'est
une condamnation de l'aspect prométhéen
de l'homme. A force d'insister sur les dangers de cette
attitude, on finit par en oublier ses indéniables
avantages. Mais Truong pose les bonnes questions, celles
du reste que dans un autre domaine pose aussi Houellebecq.
Bref un livre inquiétant,
une espèce devenue rare dans la science fiction
française d'aujourd'hui.
Jauhel
©
Mauvais Genres, 2003