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Cornelis
A. Koster, Genève, 14/4/03 :
Un
article paru fin mars dans le journal suisse Le
Temps a attiré mon attention sur votre
dernier livre. A la retraite moi-même depuis
peu, le sujet m'intéresse directement, et j'ai
commandé le livre (via Internet, ça
va de soi) et je viens de le terminer. Bravo ! Cela
m'a plu, aussi bien pour la théorie que vous
y développez, que pour la "mise en scène"
!
Maintenant,
si vous permettez, j'ai une question, et une petite
remarque :
-
D'abord, est-ce que Eternity Express a déjà
été traduit en anglais au-delà
du titre? J'aimerais recommander le livre à
des amis qui ne pourront pas le lire en français
!
-
La (petite) remarque : dans le chapitre IV, à
la page 215, il y a une référence à
Adolf Hitler, au sujet des autoroutes, construites
en Allemagne dans les années trente : sauf
erreur, ces "Autobahnen" n'étaient
pas goudronnées, mais faites en béton.
Ce n'est qu'une petite chose, qui ne change rien au
livre, mais pour une personne exacte comme vous cela
surprend !
Jean-Michel
Truong :
Je
plaide coupable : c'était bien du béton !
Quant à la traduction anglaise, elle n'existe
pas pour l'heure. A défaut, vos amis pourront
se faire une idée en lisant sur mon site les
Excerpts
in English.
Rannaud
Nathan, 16 avril 2003 : Ainsi parlait le Successeur...
Tout
d'abord, bravo et merci pour ce moment de pure schizophrénie
virtuelle...On m'a souvent dit que l'oeuvre ne représente
qu'une infime partie de l'auteur dans sa propre conscience
de lui, je me permets donc de vous tirer mon chapeau
pour autant d'introspection...La littérature
française semblait souffrir d'un cancer, et
le nouveau souffle que vous apportez semble permettre
d'espérer un retour à une science-fiction
non édulcorée et visionnaire, dans la
lignée de Huxley, Asimov, etc., rôle
qui me semble fondamental dans l'anticipation c à
d alerter les consciences sur les possibles futurs,
de tirer la sonnette d'alarme ou tout du moins de
créer un précédent afin d'éviter
le pire...
Je
ne peux m'empêcher de vous classer dans les
auteurs d'anticipation noire tels que Dantec, qui
développent aussi ce malaise face aux nihilismes
ambiants et dont les romans ont la même proximité
temporelle, futur proche et imparfait cartographié
et millimétré depuis un demi-siècle,
et dont les jalons n'ont servi que de lointaines balises
et non de garde-fous...( merci Messieurs Huxley, Bradbury,
K.Dick et Orwell..!)
Les
thèmes dont vous vous emparez semblent récurrents
à de nombreux auteurs d'anticipation : le flux
informatique et le passage de l'intelligence humaine
à une intelligence minéralo-humanoïde
(L'ultime Secret de Werber ou
Les Racines du Mal et Babylon Babies
de Dantec, La nuit des Enfants Rois de
Lentéric par exemple), l'extinction programmée
de l'homme dans un futur proche afin de ne permettre
la survie que de quelques Elus, la néo-féodalisation
de la société de consommation.. Etes-vous
obligé de faire peur au lecteur ou la peur
n'est-elle qu'une préoccupation déjà
passée et inutile, dont la conscience n'a pour
seul but que de rappeler à l'Homme l'humilité
et autres valeurs qui lui font actuellement défaut
?
Loin
d'un Coelho ou d'une Rand, vous semblez annoncer,
non sans humour, la perte de l'histoire humaine et
de sa valorisation, somme toute inutile, pour la gloriole
de l'être dont panem et circenses ont
empli le coeur de plaisir à défaut de
bonheur : la voie de la tentation fut plus forte et
nos idéaux de communauté ont vécus
depuis Babel et Enoch.
Ps
: Je viens de commencer Eternity Express, très
bon moment en perspective! Mais allez-vous faire une
suite au Successeur?
Jean-Michel
Truong :
Oui
et non. Je n'aime pas l'idée de « séquelle »
qui ressemble trop à celle de « filon »
et finit toujours par s'épuiser, en même
temps que l'auteur... et ses lecteurs ! Je
préfère varier les plaisirs :
la vie est trop courte pour qu'on répète
les expériences. De plus, je préfère
laisser au lecteur lui-même le soin d'imaginer
une suite aux aventures de Calvin et de ses Gnomes.
Donc, en ce qui me concerne, pas de « Successeur 2 »
ou de « Retour du Successeur »,
de « Fille du Successeur »
ou de « Revanche du Successeur »,
ni plus généralement de «
Successeur du Successeur ».
Par contre, c'est certain, je reprendrai la thématique
du Successeur, pour l'approfondir et répondre
à des questions laissées en suspens
dans le Successeur de pierre et Totalement
inhumaine, notamment celle de la possibilité
d'une communication entre l'Homme et son Successeur,
ou celle d'un échec du Successeur.
Rannaud
Nathan, 17 avril 2003 :
Effectivement
laissez l'imaginaire du lecteur vagabonder sur l'histoire
de Calvin est plus adéquat... Mais on dirait
que vous ne souhaitez pas vous attachez à des
personnages, pourtant riches et complexes. N'est-ce
pas trop dur de se séparer de ses créations
ou ne sont-elles depuis le début que de simples
outils ?
Deuxièmement,
on sent un besoin d'humilité dans les histoires
aussi bien de vos personnages que de la société
humaine... Rappel ou mise en garde où l'homme
conscient de sa temporalité et de sa fragilité
devrait renoncer à sa prétention devant
la mort ou l'assurance de pouvoir un jour TOUT expliquer
et TOUT contrôler et découler un système
d'ambitions plus... humaines ?
Jean-Michel
Truong :
Comme
tout auteur, je m'attache à mes personnages
et me laisse guider par eux au fil de l'écriture.
Cela dit, même quand je les dote d'une personnalité
« riche et complexe », je
ne leur accorde jamais plus d'importance qu'ils
ne méritent : ce sont des témoins
plus que des héros, passifs plus qu'actifs,
même s'ils donnent parfois l'impression d'influencer
le cours des événements. Le véritable
« héros » de mes romans
est toujours le système dans lequel
les personnages humains évoluent et qui détermine,
la plupart du temps à leur insu, leurs actions.
C'est pourquoi chez moi les situations, les processus
et les mécanismes impersonnels sont toujours
plus détaillés que l'apparence physique
ou la psychologie des personnages... D'où
peut-être ce sentiment de mortification
d' « humilité »
que vous dites avoir ressenti.
Rannaud
Nathan :
Si
l'anticipation ouvre un probable parmi les futurs,
vu la corrélation des différents auteurs
d'avant-garde sur une éradication programmée
du surplus d'êtres, pensez-vous qu'apprendre
le sens et la notion de sacrifice, par exemple, aux
élèves de l'ENA puisse un tant soit
peu changer la donne et donner une forme "d'espoir"
ou tout du moins une base de résistance au
processus?
Jean-Michel
Truong :
Je
n'en suis pas certain. D'abord, parce que les apprentis
Imbus (élèves de l'ENA ou d'autres
écoles du pouvoir) sont comme nous tous englués
dans les rets du Successeur et, comme nous, davantage
agis qu'agents. Ensuite, parce que
tout dans leur formation les pousse au conformisme
(voir ce que j'en dis au chapitre 12 de Totalement
inhumaine) plutôt qu'à l'héroïsme.
Enfin, parce que leurs critères de sélection
et d'avancement de carrière incluent l'aptitude
à se livrer sans état d'âme
à cette mathématique sinistre dont
l'unité de compte est le cadavre humain que
le maître à penser de la mondialisation,
Friedrich von Hayek, nommait « calcul
de vie » (cf. Totalement inhumaine,
pages 212-214, et mon article « Mortel
tropisme » sur ce site).
Amaury
Mouchet, 22 avril 2003 : ... même riches,
ils sont pauvres... (J. Brel, Les Vieux)
J'ai
beaucoup tardé à ouvrir Eternity
Express, notamment parce que savoir qu'un bon
livre m'attend fait déjà partie d'un
plaisir de la lecture que je cherche souvent à
prolonger. Et puis aussi, j'attendais d'avoir quelques
jours entiers pendant lesquels je puisse m'immerger
suffisamment dans le voyage que vous nous offrez
: je me doutais bien qu'une fois commencé,
votre dernier opus ne pourrait pas me lâcher
avant la dernière page. Et voilà
! Je crois bien qu'en fait, comme les trois précédents,
je ne m'en détacherai jamais vraiment.
Certes,
votre roman est habile dans sa forme : vous savez
admirablement transposer à l'écrit,
ce que de Palma a contribué à inventer
pour le cinéma : ralentir l'action pour mieux
l'intensifier et ainsi maintenir le spectateur en
haleine. Mais l'habileté ne fait pas tout
et n'empêche pas un roman de sombrer dans
l'oubli ou de se confondre avec un cousin du même
genre (en ce qui me concerne, j'ai d'ailleurs tendance
à confondre un peu tous les "de Palma").
Mais rien à craindre de ce côté
là au sujet de vos livres : Il y a tellement
de puissance intelligente engagée dans vos
pages et une telle créativité se renouvelant
à chaque fois qu'il me semble difficile d'oublier
ni même de les confondre.
Dans
les romans que, par paresse sans doute, on classe
rapidement dans le genre de l'anticipation, on part
de quelques axiomes de départ (au hasard
: le clonage humain est rendu possible, une apocalypse
nucléaire a renouvelé le jeu des pouvoirs,
les voyages spatiaux permettent d'atteindre des
mondes de plus en plus éloignés, etc.)
et tout l'art consiste ensuite à raconter
une histoire qui fait usage de façon plus
ou moins cohérente de ces éléments
inhabituels. Ce qu'apporte Eternity Express
et ce qui m'a particulièrement plu et terrifié,
c'est que l'on découvre (en tous cas, c'est
la première fois que je lis un roman et non
pas un essai qui fonctionne ainsi) un genre nouveau
d'anticipation continue : il n'y a pas vraiment
d'hypothèses de départ, juste quelques
coups de pouces du romancier de ci, de là
mais rien de bien incroyable a priori. Par une transition
douce, vous enracinez si bien le futur proche dans
le passé récent qu'à plusieurs
reprises je me suis demandé si les évènements
décrits étaient déjà
arrivés ou non et, ça c'est terrible
!
Je
dois vous avouer qu'en outre, je n'aurais pas été
aussi disposé à comprendre la dynamique
implacable que vous décrivez, si je ne connaissais
pas quelques aspects redoutables de la politique
commerciale de certains laboratoires pharmaceutiques
ainsi que la facilité avec laquelle les médecins
eux-mêmes peuvent sans risques jeter aux orties
les idéaux d'Hippocrate. En plus, votre
peinture de l'un des futurs possibles de la Chine
me semble d'autant plus plausible que j'ai gardé
une preuve édifiante du grand écart
que connaît la société chinoise
actuelle : le ticket d'entrée de la Cité
Interdite est un drôle de Janus, d'un côté
une vue classique de l'un des bâtiments centraux
et de l'autre un espace publicitaire entièrement
vendu à Nestlé !
J'aurais
bien des questions à vous poser, surtout
en ce qui concerne certains passages, souvent très
brefs, qui cependant laissent entrevoir pas mal
de pistes de réflexions en plus des terribles
thèmes principaux. Pour vous épargner,
je me contenterai juste de revenir sur ce que vous
écrivez (pp. 121-122) à propos de
la facilité avec laquelle Chine peut basculer
dans le libéralisme. Effectivement, l'un
des traits frappant de la société
chinoise semble (en tous cas pour un ignorant comme
moi) être un goût très prononcé
pour le commerce. Au Viet-Nam, et surtout à
Saïgon, il semble que, par certains aspects,
les Vietnamiens "de souche" aient un certain
mépris ancestral vis-à-vis de ce qui
touche à la Chine et cela se traduit notamment
par un rejet des activités commerciales délaissées
plutôt aux mains expertes des immigrés
chinois. J'ai pu aussi constater qu'à Shanghaï,
la rue Nanjing relègue Times Square au rang
de kermesse provinciale. Néanmoins, si je
vous ai bien suivi, vous semblez lier cette disposition
naturelle de la société chinoise actuelle
au libéralisme à sa tradition millénaire
bureaucratique. J'aurais plutôt tendance à
dire le contraire. Sinon pourquoi alors, le développement
du capitalisme qu'a commencé à connaître
l'Europe après la Renaissance ne s'est-il
jamais produit en Chine ? La séparation très
nette entre l'élite des mandarins (certes
peu nombreux mais néanmoins aux commandes
de tous les leviers du pouvoir) et les activités
commerciales (et militaires) qui leur restaient
soumises n'a-t-elle pas constitué un obstacle
au développement du capitalisme libéral
? Maintenir un strict contrôle administratif
sur l'économie et le militaire semble avoir
été un trait constant de la civilisation
chinoise depuis la première unification de
l'empire et on le retrouve aujourd'hui (évidemment,
le recrutement des "nouveaux mandarins"
et leurs méthodes pour s'accrocher au pouvoir
ont bien changé !). L'apparition du
libéralisme semblerait rompre violemment
avec cette tradition. Qu'en pensez-vous ?
(je crois me souvenir que j'emprunte en grande partie
les arguments précédent à Needham,
dans ses interrogations sur les conditions qui ont
fait naître la science moderne, comme le capitalisme,
en Europe et pas en Chine.)
Je
n'ai gardé qu'un souvenir confus du livre
de Needham. En revanche, neuf années à
sillonner la Chine dont sept ans sans interruption
dans la province du Guangdong, la plus hystérique
d'entre les frénétiques ont
profondément changé toutes les certitudes
nées de mes lectures à ce sujet. J'ai
d'abord touché du doigt l'immensité
de ce pays, et l'immense difficulté, même
pour un appareil bureaucratique expérimenté
comme celui du Parti communiste, à le contrôler
dans ses moindres parties. Comme disent les cantonnais
quand on s'étonne des libertés qu'ils
prennent avec la loi : « L'empereur est
loin ». Un exemple ? Un des membres
de la branche de ma famille demeurée en Chine,
paysan pauvre de Puning près de Shantou,
a trouvé le moyen, en dépit de toutes
les mesures de propagande et de répression
souvent brutale en faveur de l' « enfant
unique », de donner naissance à
pas moins de cinq filles et un fils. Comment ?
En payant qui de droit. Rôle capital de la
corruption, qui permet, à qui en a les moyens,
de goûter aux joies du libéralisme
le plus débridé au sein du plus réglementé,
du plus fliqué et pour tout dire du plus
totalitaire des Etats contemporains. A vrai dire,
en Chine, les lois et règlements et le « strict
contrôle administratif » qui les
accompagne ne sont faits que pour permettre, à
tous les niveaux de l'appareil du pouvoir, à
une multitude de raquetteurs, mafieux et maîtres
chanteurs de prélever leur dîme. Un
autre exemple ? Mon travail impliquait de fréquents
et étroits contacts avec le mandarin qui
dirigeait l'administration des télécoms
de la province. Et quel était son principal
tourment, à ce brave homme ? Persuader les
fonctionnaires chargés d'encaisser les factures
de téléphone de ne pas trop exagérer.
Deux tiers des sommes par eux collectées
ne parvenaient jamais dans les coffres de l'Etat.
Le mandarin estimait que si, au terme de sa carrière,
à force de ruse, de menaces et de pédagogie,
il parvenait à en récupérer
ne serait-ce que la moitié, il aurait accompli
un exploit digne d'éloges. Alors imaginez,
à l'ère Song ou Ming, le même
pays immense, déjà peuplé de
centaines de millions, et noyés dans cette
marée humaine, quelques milliers de mandarins
censés la contenir... Si à l'ère
des Airbus, de la télévison et d'Internet
l'empereur est si loin, sur quelle planète
résidait-il alors ? Dans les annales
de la dynastie Tang, on a retrouvé un édit
de l'empereur Tai T'song suppliant littéralement
ses mandarins de... « ne pas trop exagérer »
dans leurs détournements d'impôts et
d'en faire parvenir une part plus importante au
trésor impérial. Suppliant.
Un des empereurs les plus puissants que la Chine
ait connu. Cela incite à nuancer la représentation
que nous avons de l' « autorité »
des souverains chinois. La vérité
est que de tous temps et en tous lieux les hommes
d'affaires n'ont eu cesse de se soustraire à
la tutelle de l'Etat. En Chine, cela passait et
passe encore par la corruption de ses représentants.
Chez nous, par la « dérégulation »
et le « moins d'Etat ».
Amaury
Mouchet :
Bon,
j'aurais bien envie de poursuivre encore mon e-mail
sur d'autres sujets, en particulier sur le thème
de la prise en compte quantitative de la vie humaine
dans les calculs économiques (cela renvoie
à Hayeck si je me souviens bien de Totalement
inhumaine, non?) mais je m'abstiendrai pour
cette fois-ci.
P.S.:
Ah oui, il y a une ou deux petites choses
qui turlupinent le pinailleur que je suis
:
Comment
Xuan peut-il espérer masquer son épuration
gérontologique pendant cinq ans alors que
les familles des premiers convoyés ne manqueront
pas de signaler leur disparitions quelques semaines
après leur départ ? Si les familles
sont néamnoins dans le coup, comment les
y mettre sans éveiller les soupçons
de leurs ainés et des futurs partants ?
Le
livre ne précise rien à ce sujet,
en effet. Je suis sûr que le lecteur trouvera
de lui-même non pas une, mais dix façons
satisfaisantes de règler ce problème.
Amaury
Mouchet :
L'immobilisation
dans le désert de Gobi est-elle calculée
?
Bien
sûr, comme tout le reste. C'est même
un élément capital de la mise en
condition des voyageurs. Qu'ils aient eu
très chaud, dans tous les sens de l'expression.
Yves
Gautier, 24 avril 2003 : Bravo et merci !
J'ai
acheté à sa sortie, Reproduction
interdite que j'ai dévoré. Idem
pour le Successeur de pierre et Eternity
express. Merci pour votre inspiration fulgurante.
Pour ma génération, le regard que
nous pouvons avoir sur l'histoire récente
nous fait sentir la puissance formidable et terrible
des déchirements du dernier siècle.
Tous les événements dramatiques de
cette période récente, s'ils avaient
été évoqués quelque
mois avant qu'ils ne se réalisent à
ceux qui en furent les témoins, auraient
suscité au mieux des ricanements incrédules,
mais ils se réalisèrent. Nous qui
n'avons connu que la tiédeur confortable
et conformiste post-68arde, bercés
dans l'illusion d'acquis éternels de notre
prospérité passagère ; ne sommes
nous pas nous aussi, tels les incrédules
des années 10 face la boucherie de la grande
guerre, des années 20 face à
l'escroquerie meurtrière du communisme, des
années 30 face au petit caporal -futur grand
boucher industriel- , condamnés à
ne pas voir plus loin que notre plateau télé
et nos congé-payés ? A cette interrogation
personnelle, quelques rares voix comme la vôtre,
ouvrent sans inhibition des pistes sur les risques
potentiels fermentés par notre société
matérielle. Bien sûr, nul ne les souhaite.
Mais aurons nous la lucidité et le courage
de nous en prémunir ? Le courage se mesure
à ce que l'on est prêt à
lui sacrifier, que sommes nous prêt à
lui consacrer ? L'avenir nous le dira, comme toujours.
Pascale
Hermant, 19 Mai 2003 : Successeur - Matrix
Tout
d'abord un grand merci pour votre remarquable
travail, lequel m'oblige à explorer mes
limites. J'ai un mental curieux qui, cependant,
n'aime pas être mis en difficulté
avec des concepts qui lui annonce sa prochaine
déchéance. Tant pis pour lui...
Une autre partie de mon cerveau jubile en vous
lisant. Alors si une suite littéraire
au Successeur pouvait voir le jour... Maintenant
voici mes questions : Je vois un lien entre votre
discours et celui développé dans
le film Matrix. Je suis même très
étonnée de ne pas avoir lu de commentaire
ou de question ayant trait à cette concomitance.
Est-ce que le mème Matrix fait son chemin
plus facilement que le mème Successeur
? Est-ce que le mental est plus réfractaire
à l'écrit qu'aux images ? Est-ce
que le mental ne croit pas aux images ? D'ailleurs
le mème Matrix trouve-t-il des hébergeurs
? Et enfin, ayant le sentiment d'être,
peut-être, la seule à vous poser
ce genre de question, Ces questions ont-elles
un semblant de pertinence ?
Jean-Michel
Truong :
Vous
trouverez quelques éléments de
réponse dans l'interview
que j'ai donnée à ce sujet au
Nouvel Observateur.
Alain
Chaudet , 25 mai 2003 :
Je
viens de lire "Eternity Express" qui tombe
à pic en ces temps de grève contre
la réforme des retraites. Je n'ajouterai
pas d'autres louanges à celles que j'ai déjà
lues et que je partage. Une question, cependant
: pourquoi avoir confié cette "solution
finale", que l'on pressent d'ailleurs très
tôt, à un juif ? Le clin d'oeil n'est-il
pas un peu trop appuyé ?
Jean-Michel
Truong :
Jonathan
et Xuan, son tentateur, sont deux figures du cynisme
de la génération des baby boomers,
qui théorisa le "calcul de vie"(Cf
Mortel
Tropisme, mon "Rebonds" dans Libération),
le porta à la dignité de doctrine
de gouvernement, et le pratiqua avec un art consommé
au prix de millions de vies innocentes, et ce
au lendemain même de la Shoah, dont le seul
souvenir aurait dû les en détourner
à jamais.
Pour caractériser les deux complices, je
me suis d'abord demandé s'il existait parmi
nos contemporains un groupe, une profession ou
un individu qui pouvaient par essence se prétendre
indemnes de ce "mal du siècle".
Les médecins, par exemple, qui prêtent
le serment d'Hippocrate ? Les juifs, victimes
de la Shoah, et à qui de surcroît
leur tradition interdit de sacrifier la vie de
quelques-uns pour en sauver d'autres en plus grand
nombre ? Moi, enfin, l'intellectuel obsédé
par un retour possible de la Shoah, l'auteur dénonçant
à longueur de chroniques et d'ouvrages
l'utilitarisme contemporain et ses dérives
totalitaires ? A chacune de ces questions, hélas,
l'Histoire et la simple honnêteté
obligeaient de répondre par la négative.
C'est ainsi que Jonathan est devenu un médecin
juif ayant oublié ce qui le spécifiait
en médecin et en juif, et Xuan un homme
d'affaires eurasien, comme je le fus moi-même,
Jean-Michel Truong Ngoc Xuan, dans une
vie antérieure.
N'est-ce pas "trop appuyé" ?
Sans doute. Mais Eternity Express se veut
une fable de notre temps, et une fable ne s'embarrasse
pas de nuances.
Jean-Luc
MALLEA, 9 juin 2003 : Après
lecture de Totalement inhumaine
Je
viens de terminer votre essai Totalement inhumaine
et je dois l'avouer, il m'a laissé pantois...
Je n'arrive pas à concevoir un avenir
aussi pessimiste. Selon, moi le Successeur ne répond
pas comme l'homme à un ensemble de stimuli
chimiques qui lui font prendre ses désirs pour
des réalités. Que recherche le Successeur
? Le pouvoir, le contrôle absolu sur les hommes
? Et si demain, je décidais de ne plus avoir
d'ordinateur, ni d'internet, ma vie en serait-elle
bouleversée pour autant ? Où est le
goût de l'effort ? Où est l'art, le plaisir
de la matière dans tout cela ? Et l'amour
? Je ne le vois nulle part avec l'outil informatique.
Certes, l'informatique et son lot d'e-gènes
rendent de nombreux services pour communiquer,
compter, analyser... mais ils ne sont pas indispensables
à mes yeux pour cette existence. Selon
moi, l'Intelligence Artificielle ne réalise
les applications à la hauteur de ce qu'un cerveau
humain est en mesure de lui faire entreprendre.
Je suis d'accord avec vous il y a bien 3 nébuleuses
dans notre parcelle d'univers : les imbus, le cheptel,
les epsilons (les noplugs ?). Mais heureusement
chez les epsilons, il n'y a pas que les "agités"
de la révolte, il y a aussi les sages
qui à leur façon nous font prendre conscience
d'une autre réalité.
Pour conclure, si je vous ai bien compris, c'est
: "qu'e-mème me suive... "
Je vais encore y réfléchir.
Jean-Michel
Truong :
Vous
trouverez des éléments de réponses
à ces questions sur ce site, notamment dans
les nombreux et fructueux échanges
qui ont suivi la publication de Totalement inhumaine
Rannaud
Nathan, 12 juin 2003 : AÏE...
Aîe,
tout d'abord pour le second coup de semonce, puis
pour le cynisme, enfin pour le possible de cette réalité...Eternity
express est aussi virulent et froidement méthodique
que le Successeur dans l'enchaînement des masques
qui tombent et de la placide tournure des évènements.
Reprenant un contexte proche de Soleil Vert, qui fut
à mon sens un monument d'anticipation sur le
thème du recyclage des classes vieillissantes,
vous trouvez le moyen d'y ajouter une trame en huit
clos, un voyage initiatique, et le syndrome du CQFD
en moins de pages qu'il en faut pour comprendre le
Monde....! Le parallèle avec les wagons de
la Shoah, conduit par un médecin juif de surcroit
tend à affirmer que l'homme ne retient pas
et laisse passer les torpeurs du temps afin de rejoindre
ses satisfactions personnelles, un instinct de communauté
détruit par la perte d'une peur omniprésente
et dogmatique....D'ailleurs certains pensent que la
perte du dogme catholique en France a renforcé
la foi individualiste de la population. A l'heure
où d'autres se servent de l'image d'un Dieu
pour justifier leurs exactions envers une population
désoeuvrée, ne sommes-nous pas tous
de nouveaux des vassaux d'un empire de l'ombre où
différents conglomérats seigneurs se
jouent de nous comme de simples pièces de jenga
dans une construction démesurément darwinienne,
les meilleurs places, élite de l'élite,
étant celles de pions sur cet échiquier
du mal ( merci et pardon à Dan Simmons pour
cet emprunt!). Pour certaines raisons personnelles,
le parcours de Jonathan m'inquiète car il pose
une cruelle dichotomie : vivre ou survivre, le premier
dans une intégrité mentale consciente,
le second s'apparentant plutôt aux rites carcéraux
avec le test de la promenade puis celui des douches,
bref un monde où la force est un moyen suprême
annihilant l'intelligence pour les classes dominées,
bridant toute capacité de réalisation
personnelle et en dehors du moule au prix des valeurs
de cohésion ou de communauté dans laquelle
nous avons tous évolués les premières
années de nos vies... Dernière question
: que fera Jean-Michel Truong dans 20 ans? Merci
encore de votre écoute, de vos réponses
et de vos créations aussi effrayantes soient-elles..!
Jean-Michel
Truong :
Je
me garderai bien de préfigurer mon propre
avenir. Car si j'ai retenu quelque chose de ma vie
jusqu'à ce jour, c'est qu'il ne faut pas
faire de plans ! En cela, je ressemble à
Jonathan, qui se contente de dire oui aux sollicitations
de l'existence...
Alain
Deveau, 8 décembre 2003 :
Je pensais lire un essai novateur sur la modernité
technologique et je me suis retrouvé "embarqué"dans
un drôle de scénario où votre
talent d'éditorialiste et l'ample recours à
des citations d'auteurs que j'admire sert une étrange
entreprise d'auto légitimation. Il ne me semble
pas acceptable, d'un point de vue éthique,
que vous présentiez comme essai, avec caution
scientifique, la simple projection de votre "cinéma"
personnel. "Cinéma" qui aurait pu
être reçu et apprécié si
vous l'aviez sublimé en une uvre de science-fiction,
ce qui n'est malheureusement pas le cas, et c'est
bien cela qui me semble dangereux. Tout d'abord, je
tiens à porter à votre connaissance
que le procédé qui consiste à
utiliser des citations pour étayer une extrapolation
est une facilité vieille comme le monde et
qui aura probablement encore cours dans quelques millions
d'années
A partir de ces extrapolations vous vous permettez
des assertions définitives que je trouve choquantes.
Vous convoquez Auschwitz pour servir votre essai.
Effectivement "avec Auschwitz les hommes ont
ouvert les portes du néant", mais qui
êtes-vous pour porter un jugement définitif
que même les rescapés des camps d'extermination
n'osèrent porter, eux qui témoignèrent
de leur humanité au cur de l'inhumain
Quant à votre vision datée et dichotomique
de la relation corps/esprit, elle ne saurait elle
aussi être légitimée par des emprunts
au darwinisme.
Permettez-moi, pour terminer, une citation que j'offre
à votre humanité: "le chemin est
sous tes pieds, c'est la seule vérité".
Jean-Michel Truong :
Si, comme vous le soulignez à juste titre,
le recours aux citations est un usage immémorial
(on en trouve dans l'Epopée de Gilgamesh
!) c'est peut-être pour une bonne raison, qui
semble vous avoir échappé : le besoin
qu'ont ressenti et ressentent encore certains auteurs
de situer leur propos, en signalant honnêtement
à leurs lecteurs les oeuvres auxquelles ils
sont redevables, et celles dont ils souhaitent se
démarquer. Car, contrairement à ce que
vous semblez croire, nulle pensée ne naît
dans un désert de pensée. On ne pense
qu'à partir des pensées d'autrui, ou
contre elles. L'imposture consisterait à faire
croire le contraire.
A propos d'Auschwitz, je vous renvois votre question
: qui êtes-vous pour m'interdire d'y faire référence
? J'avais 14 ans quand j'ai découvert, grâce
à Nuit et Brouillard, le bouleversant
documentaire d'Alain Resnais, les conditions dans
lesquelles agonisa et mourut mon grand-père
maternel. Depuis, je suis habité par la crainte
et la certitude d'un retour de cette
horreur que vous m'enjoignez de passer sous silence.
Mes trois romans ne sont en fait que des variations
sur ce thème du retour de la Shoah. Cette crainte
et cette certitude, je crois les partager avec nombre
de mes contemporains, du moins parmi les plus lucides,
que rien dans l'histoire récente d'Hiroshima
aux attentats du 11 septembre 2001 en passant par
les massacres de Kigali n'est propre à
rassurer. Quitte à ce que vous m'accusiez à
nouveau d'exploiter à mon profit la pensée
des autres, je citerai le magnifique essai de Zigmunt
Bauman, Modernité et Holocauste.
Quant à votre critique lapidaire sur ma vision
"datée et dichotomique" de la relation
corps-esprit, elle démontre soit que vous m'avez
mal lu, soit pardonnez-moi que
vous ne connaissez pas le sens de "dichotomie".
L'esprit est selon moi une propriété
de la matière, il n'est pas de conception moins
"dichotomique" de la relation corps-esprit.
Frédéric
Lévêque, 8 décembre 2003 :
J'ai lu votre livre, Totalement inhumaine
avec beaucoup d'intérêt. L'idée
d'un Successeur, prolongement de l'Intelligence par
d'autres moyens... que l'humain (après tout
l'Intelligence mène un guerre qui mérite
bien quelques dommages collatéraux) n'a rien
en soi de très choquant, ni même de très
original (la S.F.nous en parle depuis bien longtemps).
Cependant vous avez ce talent de rendre la chose crédible
aujourd'hui, de nous en faire quasiment constater
la réalité... Votre scénario
est impeccable !
Cependant je ne crois pas que votre livre soit un
"essai", il me semble qu'il appartient plutôt au
"roman". Je ne veux pas dire par là
qu'il mente ou affabule... bien sûr que la littérature
dit aussi la vérité, simplement celle-ci
procède par métaphores, par images,
sans s'embarrasser de trop préciser ses concepts.
C'est ce que vous faites tout au long de votre ouvrage
en mélangeant habilement (ce n'est pas
du tout une critique négative !) de faits avérés
et des théories scientifiques avec extrapolations
et des conjectures personnelles. L'important, me direz-vous,
c'est que votre oeuvre donne à réfléchir,
que votre message passe... Certes, il passe, mais
il me semble qu'il aurait été plus
honnête et pas moins efficace d'accepter
d'apparaître dans le champ du romanesque. A
moins que cette forme choisie, "l'essai philosophico projectif"
ne soit pour vous qu'un des multiples avatars de la
Littérature.
Le danger de cette ambiguïté, c'est par
exemple que l'on puisse avaliser l'idée de
troupeau ou cheptel humain... Bien sûr, vous
et moi sommes des epsilon, c'est plus distingué.
Acceptable et précieuse dans un roman, dans
un essai, cette "idée" me répugne,
surtout s'il s'agit par coquetterie nietzschéenne,
de s'en démarquer, pas vous ?
Une remarque encore, je crois que "l'Humanité",
n'est rien d'autre que l'idéal que l'humanité
se donne à elle même... en ce sens "l'Humanité"
n'est pas de ce monde, donc aucun successeur
ne peut la détruire.
J'ai eu plaisir à vous lire et je vous en remercie.
Jean-Michel
Truong :
Essai ? Roman ? C'est une décision d'éditeur
("A quel rayon l'ouvrage doit-il être
mis en place chez le libraire? ") et celle
prise par les Empêcheurs de penser en rond
était la moins mauvaise. Imaginez le courrier
que j'aurais reçu des amateurs de romans
si Totalement inhumaine avait été
étiqueté selon votre souhait !
J'ai expliqué ailleurs sur mon site pourquoi
j'avais pris la décision inhabituelle de
reprendre sous une autre forme la thématique
de mon roman Le Successeur de pierre. Décision
dont je n'ai, après-coup, qu'à me
féliciter, puisqu'elle a permis au virus
du Successeur de franchir la barrière des
espèces qui sépare le grand public
amateur de romans de la petite coterie des lecteurs
d'essais, et celle des aimables sujets de distraction
de celle des respectables sujets d'étude.
Aujourd'hui, au prix de cette imposture que vous
me reprochez gentiment, le Successeur est inscrit
aux programmes de prestigieuses facultés
et grandes écoles, fait l'objet de mémoires
savants et est invité dans les colloques
internationaux. Résultat auquel ne pouvait
prétendre - et n'est d'ailleurs pas parvenu,
en dépit de ses ventes de best seller - son
alter ego romanesque.
L'"idée" de Cheptel n'est une "idée"
que pour la petite fraction de l'humanité
qui vit (ou pense, c'est pareil) dans les quartiers
propres de l'hémisphère nord de la
planète. Pour tous les autres, c'est hélas
une réalité. "S'il vous plaît,
traitez-nous comme vos animaux" cette supplique
d'un Kurde lors de la guerre du Golfe pourrait être
celle des deux tiers restant de l'humanité.
"Cheptel" est le terme qui me paraît
le plus approprié pour décrire la
position que nous occupons dans la chaîne
alimentaire des machines. Je ne dis pas que l'humanité
se réduit à cela, je dis que c'est
devenu une part essentielle de sa "nature"
: servir de combustible au Successeur.
Quant à savoir si je suis un epsilon, je
crois avoir écrit le contraire. La plupart
du temps, je me vis comme Cheptel, et parfois -
notamment lorsqu'entre deux livres je me remets
à mes activités de consultant - je
fais une excursion parmi les Imbus. J'oscille entre
les deux positions. Notez que je n'attache aucune
valeur positive , comme vous semblez le faire, au
statut d'epsilon : les epsilon sont souvent des
Imbus en puissance, et les Imbus des epsilon qui
ont réussi.
Enfin, je ne dis pas non plus que le Successeur
détruira l'Humanité. Il lui succédera,
voilà tout. Et nous pouvons nous rejoindre
sur l'espoir qu'il reprendra à son compte
cet idéal dont vous dites, à juste
titre ce me semble, qu'il est tout ce à quoi
l'humanité se résume.
Clément,
12 janvier 2004 :
Je
vous écris pour vous féliciter pour
les romans que vous avez écrits.
Ne vous connaissant pas de prime abord, et cherchant
un roman sur l'intelligence artificielle, je me suis
tourné vers "Le Successeur de pierre",
sans savoir trop ce que pouvait donner un roman écrit
par un non-écrivain. Et ce fut tout simplement
gigantesque. Un style épuré, mais de
nombreuses idées, une vision noire de l'avenir
de l'humanité, mais partant d'une évolution
possible de celle-ci, une explication de la religion
dans son intégralité, bref, j'ai souvent
raté mon arrêt de bus ou veillé
tard pour arriver rapidement à la fin.
Et donc après quelques renseignements, je me
suis jeté sur vos autres livres, "Reproduction
Interdite" et "Eternity Express", et
j'y ai retrouvé cette même fulgurance,
ces mêmes idées non conventionnelles.
La fin du dernier roman fut trop vite là en
fin de compte.
Vraiment, félicitations pour ces travaux, en
attendant votre prochain livre avec impatience.
Louis Vaisse, 15 janvier 2004 :
Je vous avais demandé (voici 2 ans?) l'autorisation
de m'inspirer d'un passage d votre livre "le
Successeur de pierre" pour écrire dans
mon entreprise un "tract" sur nos (futures)
et.. possibles retraites. Vous m'aviez fort gentiment
donné l'autorisation, que j'ai donc utilisée,
en me répondant que justement votre prochain
livre parlerait de nos retraites.
Dans mon service informatique , je travaille avec
un collègue qui a épousé
une femme thaï rencontrée lors d'un séjour
en Thaïlande. Amoureux et de son épouse,
qui habite avec lui en France, mais aussi du pays
thaï, il a acheté la bas terrain, maison,
et équipements, à un prix "dérisoire"
par rapport évidemment à ceux pratiqués
"chez nous".
Mieux, il projette de s'y installer dès sa
retraite. Et est en train de mettre sur pied un projet
de constructions de villages de bungalows qu'il pense
louer ou revendre à des retraités français.
Et pour moi aussi, comme pour lui, l'heure de la retraite
approche. L'idée pouvait paraître tentante.
Des retraités français partant en charter
pour aller s'installer dans un pays où notre
retraite nous permettrait une vie de millionnaires....
J'ai lu votre nouveau livre. Je me demande si je dois
en interdire la lecture à mes enfants !!! En
tout cas, je resterai ici...
C'est bien sur une boutade, puisque ma fille, qui
avait lu la première le Successeur, a déjà
lu Eternity Express. M'enfin, si elle me propose de
me payer le voyage, diable...
Je vous félicite pour ce nouveau livre : je
l'ai lu d'une seule traite, puis recommencé.
En me demandant pourquoi on parlait de science fiction...
J'ai bien peur qu'il ne s'agisse que d'une très
légère anticipation...
Sans aucun rapport,ou presque, je me souviens que
dans les années 60, quand nous rêvions
de changer le monde, un chanteur "beatnik"
appelé Antoine avait un groupe de musiciens
appelé les Problèmes. Ils chantaient
"la route", "la musique dodécaphonique",
etc... Ils ont même composé, après
une tournée au Portugal au cours de laquelle
un de leurs membres, Luis Rego, avait été
arrêté, une chanson : "Ballade a
Luis Rego, prisonnier politique".
Ils ont découvert quelques temps après
que "paulette la reine des paupiettes" c'était
certes beaucoup plus crétin que tout ce qu'ils
faisaient, mais que ça rapportait gros. Ils
sont donc devenus... "les Charlots", se
sont cantonnés à la musique aux farines
animales, et ont pris part à des films impérissables
mise en scène Mac Donald. Bon, j'ai rien contre
eux, ils ont fait de mal à personne.
Je crois que toute notre génération
de 68tars en déroute mérite le même
nom que ce groupe, et la même fin sans
gloire, puisqu'elle a en fait suivi la même
trajectoire. Est ce que c'est bien, éthique,
beau, honnête ? la question ne sera pas, ne
sera plus posée. La question est : EST CE QUE
CA RAPPORTE ? Oui? alors, on fait.
Je vous remercie , et j'espère que vous ne
vous en tiendrez pas là.
Emmanuel
Dion, 16 avril 2004 :
Lecteur assidu de vos différents ouvrages l'an
passé, et ayant ainsi, sinon épuisé
du moins écrémé vos textes, je
me suis depuis orienté sur d'autres auteurs,
en particulier Michel Houellebecq et Philippe Muray
(classiquement associés à Dantec, avec
lequel j'ai cependant moins accroché).
Je sais bien qu'il y a toujours quelque chose de puéril
à penser qu'un texte ayant suscité de
l'intérêt pour soi puisse en susciter
autant pour les autres. D'autant plus qu'en l'espèce,
il existe une différence de point focal assez
essentielle, vos ouvrages étant -du moins de
mon point de vue- davantage associés aux thèmes
de science fiction/biologie/technologie/réseaux/futur
apocalyptique, alors que ceux de Houellebecq et Muray
relèvent plutôt de la sociologie et de
l'analyse du présent. Cependant, ils se rejoignent
sur le plan d'un travail en parallèle dans
le genre de l'essai et dans celui du roman. Ils se
rejoignent également sur le thème qui
vous est cher de la réification de l'homme,
en passe de devenir, comme vous le citez, la chose
de choses inanimées, sans pour autant tomber
dans le travers simpliste de la machination ourdie
par d'habiles comploteurs (l'explication étant
plutôt, dans leur cas, de nature historique
ou sociologique; dans le vôtre plutôt
de nature technologique, même si les imbus y
jouent un rôle d'appoint).
Je serais curieux de savoir si vous avez lu ces auteurs
et s'ils ont apporté quelque chose à
votre analyse. Et je ne m'autorise la question que
parce que:
1 - j'ai moi-même reconnu, dans nombre des sources
que vous citez dans Totalement Inhumaine, un bon nombre
de textes entrant en résonance avec mes propres
centres d'intérêt, d'où je déduis
la probabilité d'un intérêt symétrique
de votre part pour ces auteurs que j'apprécie.
2 - votre travail demeure marqué par sa capacité
à s'alimenter à des sources variées,
et il me semble réducteur de vous voir affilié
principalement à la catégorie "science-fiction",
même "philosophisée" ou "anthropologisée".
Il me semble que votre analyse ouvre d'intéressantes
perspectives en sociologie contemporaine. Si le projet
sociologique est par définition moins grandiose
que le projet anthropologique, il n'en est pas moins
important pour la compréhension du monde dans
lequel nous vivons. Je précise que je ne suis
pas moi-même sociologue, mon opinion sur le
sujet est donc tout à fait naïve; d'ailleurs,
ni Houellebecq ni Muray ne se revendiqueraient sans
doute comme tels.
Jean-Michel Truong :
De Houellebecq, je n'ai lu que les Particules
élémentaires et, comme vous, y
ai trouvé un écho de mes propres préoccupations,
tant sur le plan des idées que de la forme,
au sens de "genre en dehors des genres"
et non, bien entendu, de "style", ayant
personnellement à cet égard un parti-pris
résolument a-littéraire. Selon moi,
dans un roman réellement contemporain, l'auteur
donc le style doit s'effacer totalement.
Le roman et particulièrement
le roman français contemporain est
en effet le seul espace où, malgré
Copernic, Darwin et Freud, malgré ce que
nous ont enseigné entre autres
l'éthologie, l'intelligence artificielle
et la dynamique des systèmes, l'homme se
trouve encore au centre du dispositif, comme un
pivot autour duquel tout le reste orbite. Le roman
français : un vestige précopernicien.
Au seuil du 3ème millénaire, il nous
manque encore, pour rendre compte du réel,
une littérature où le sujet serait
renvoyé à sa véritable place
non pas héros central, mais satellite sur
une orbe secondaire, plus spectateur qu'acteur,
totalement impuissant, ou prêtant sa main
débile à des actions dont il ne saisit
ni les tenants ni les aboutissants , littérature
dont les personnages seraient non des individus,
mais des systèmes de forces impersonnelles,
littérature sans sujet, qui raconterait des
complots sans comploteurs, des intrigues sans intrigants,
des hauts faits sans héros, et produirait
des histoires sans narrateur, histoires sans auteur,
ou plutôt histoires SE racontant à
linsu de leur auteur, malgré lui, voir
contre lui. Au seuil du 3ème millénaire,
il nous reste, comme le dit fort bien Houellebecq,
à redécouvrir la vérité
de la tragédie antique. Ce qui impliquerait
que, de "peintre des moeurs ou des sentiments",
le romancier moderne se transforme en « anthropologue »
des mécanismes, en « sociologue »
des systèmes, en "psychologue"
des engrenages : quelle que soit la force des ressorts
de l'action humaine, ils ne sont jamais aussi puissants
que les dispositifs qui les enserre.
Le roman contemporain ? Un roman dont le Héros
serait un système et lauteur un dispositif.
Emmanuel
Dion, 16 avril 2004 :
Merci pour l'exceptionnelle rapidité de votre
réaction. Je n'aurai pas l'audace de vous importuner
avec des relances à répétition,
mais il me semble que vous prendrez sans doute du
plaisir à lire quelques uns des "Exorcismes
spirituels" de Philippe Muray .
Il y pourfend sans inhibition le nombrilisme de beaucoup
d'auteurs de romans français contemporains,
et met à sa façon en évidence
les forces qui façonnent avec ou sans notre
consentement la modernité post-historique.
Muray attribue sans doute un peu plus d'importance
que vous aux contributions volontaires des membres
du Cheptel en ce que c'est activement qu'il les voit
participer à l'évolution de la société,
en particulier dan sa dimension festive (nous retrouvons
sans doute là l'un des thèmes sous-jacents
de Eternity Express: la fête comme catharsis,
donc aussi comme anéantissement final). Qui
plus est, Muray me semble aussi autonome et énergique
que vous dans ses raisonnements, ce qui n'est pas
peu dire. Un dernier avantage à lire Muray:
ses Exorcismes sont une collection d'articles indépendants
et judicieusement titrés: on peut donc en lire
autant ou aussi peu qu'on le souhaite. Après
quelques pages, on sait vite à quoi s'en tenir,
et si l'on continue, on n'est jamais trompé
sur la marchandise.
A propos de Houellebecq, après les Particules,
vous avez le choix entre l'Extension du domaine de
la lutte et Plateforme (le reste est secondaire).
Mon avis est que son Extension du domaine de la lutte
est plus facile à lire (car beaucoup plus court,
et plus direct dans son propos) que Plateforme, mais
qu'en revanche Plateforme est beaucoup plus proche
des Particules, et aussi beaucoup plus achevé
du point de vue du style. Bien entendu, si je prends
en considération votre remarque à propos
du style, cet argument n'aura à vos yeux qu'une
valeur secondaire, mais vous partagerez peut-être
l'idée qu'il n'est pas toujours aisé
de dégager le fond de la forme. A mes yeux,
l'excellence du style de Houellebecq (dont j'admire
tout autant les Particules) tient plus à sa
capacité à utiliser le mot juste qu'à
la soumission à un académisme quelconque.
Il s'agit donc peut-être autant de contenu que
de style.
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